Abercrombie & Fitch : la stratégie du « beau »






30 Septembre 2013

Abercrombie and Fitch (ou A&F), qui possède les magasins du même nom, ainsi qu’abercrombie, Gilly Hicks et Hollister, propose une vision très spécifique de la mode. La marque s’est ainsi faite remarquée pour la présence de mannequins au sein de ses magasins, posant à demi-nus, et célébrant le culte du corps. Son directeur, Michael S. Jeffries est notamment connu pour ses propos intransigeants envers les personnes qui ne constituent pas sa cible – c’est-à-dire les personnes « non-attrayantes et non-aimées »(1). A destination des jeunes adolescents et des adultes, la marque A&F cultive ainsi une stratégie marketing élitiste mais surtout exclusive.


La culture du beau, de l’esthétique et de l’élitisme

Magasin Abercrombie - Crédit photo : Laktatjakka
La force et sans doute l’idée centrale du concept que développe Abercrombie and Fitch est de transmettre au consommateur un ensemble de valeurs qu’il pourra retrouver lorsqu’il porte des vêtements de la marque. Dans cette optique, le client sera attiré par cette esthétique qui promeut l’identification à des personnes belles et jeunes. Car tout est fait au sein des magasins et de la communication dans sa globalité, pour mettre en scène des corps jeunes, musclés, bien proportionnés, à la mâchoire carrée pour les hommes et au visage fin et à la chevelure blonde pour les femmes. L’objectif est alors de créer une attraction, une envie d’indentification à ces modèles qui peut être assouvie par l’achat d’habillements de la marque.
 
Le beau et l’esthétique sont donc deux points autour desquels Abercrombie joue pour retenir l’attention de sa cible : les jeunes entre 18 (voire moins) et 25 ans. Outre cette orientation dont les critiques fustigent le caractère érotique et sexuel, la marque a su développer un sentiment d’élitisme autour duquel les consommateurs construisent l’idée d’appartenir à une frange de la population, à une catégorie spéciale. « Les magasins Abercrombie and Fitch envoient de nombreux messages à travers leurs publicités attractives. Les messages transmettent l’idée que les jeunes adultes sont capables d’être sexy et beau quand ils portent des vêtements Abercrombie and Fitch. »(2). Par ailleurs, les magasins eux-mêmes présentent des traits qui caractérisent ce sentiment d’élitisme et d’originalité. Tout d’abord, un parfum d’ambiance, plaisant et très spécifique est utilisé au sein des espaces de vente. Il est diffusé à intervalles réguliers de trente minutes lorsque ses portes sont ouvertes. Baptisée « Fierce », la fragrance est aussi en vente dans les magasins. Cette stratégie qui vante le beau, l’esthétique, et qui créé son propre ensemble de valeurs tend à constituer un sentiment d’exclusivité, une certaine identité de groupe.

Une stratégie d’exclusivité

« Les publicités sont directement orientés vers une audience spécifique parce qu’un produit particulier n’est pas censé attirer tout le monde »(3). Ainsi, A&F travaille autour de l’exclusivité. Michael S. Jeffries avoue lui-même que sa société est exclusive et qu’elle tend à exclure certaines catégories de personnes de sa cible. Mais l’habileté de cette stratégie réside dans le fait qu’il est très difficile d’adopter un jugement objectif. Le beau est peut être la chose la plus partagée au monde car elle prend de nombreuses formes. Et si la marque propose ses propres modèles, chacun peu trouver une « compensation » à travers l’achat des vêtements. Par ailleurs, lorsque Jeffries « dit qu’il ne veut pas de consommateurs qui ne rentrent pas dans cette image [celle d’un groupe sélectionné de personnes jeunes, attirantes et populaires, ndlr.], il rend ses propres consommateurs davantage loyaux et « leur offre la possibilité de devenir un client plus attirant »(4). Le magazine Forbes va même jusqu’à tenter une comparaison avec la stratégie de Steve Jobs, qui a réussi à construire une synergie de fidélisation de sa clientèle grâce à l’image que les consommateurs avaient d’eux-mêmes en utilisant des produits Apple. Néanmoins, le marché des NTIC, particulièrement sur celui des ordinateurs souffrait et souffre encore de la dichotomie Windows – Macintosh, tandis que le marché de l’habillement est bien moins différencié.
 
L’idée a donc été de développer une théorie d’identification par l’appartenance à un groupe et de donner l’envie aux personnes extérieures à ce groupe d’y entrer. Par ailleurs, le « psychologue Henri Tajfel a démontré que la plus petite et la plus insignifiante distinction pouvait permettre aux personnes de former un groupe et de s’identifier à ce groupe »(5). Il est donc aisé de créer une catégorisation de la société et de donner envie à la partie qui n’est pas dans le groupe – a priori tout le monde – l’envie d’en faire partie. En outre, la marque joue sur l’effet négatif que provoque cette forme d’intransigeance et d’exclusivité. Car à « chaque fois qu’une critique « fanfaronne, "Mike Jeffries est horrible, il ne veut pas de personnes en surpoids ou pas attirantes dans ses magasins", elles propagent le message exact de la marque qu’il essaie de promouvoir »(6). Et même si A&F perd sûrement quelques clients en adoptant cette stratégie, ils gagnent non seulement de nouveaux clients qui veulent faire partie du « groupe », mais fidélisent aussi leur clientèle en leur procurant un sentiment d’appartenance à une élite, à un monde exclusif auquel tout le monde ne peut accéder.
 
Ce travail marketing sur la création d’une identité de groupe, voire d’un club, passe aussi par l’agencement des magasins. Pas de vitrine, mais une ambiance feutrée, sombre, intimiste, rappelant par un cliché peut être un peu grossier, les locaux des clubs de facultés étasuniennes.

 (1) « Unactractive and unliked » en comparaison aux personnes « hot and popular » qui sont considérées comme le cœur de cible.
(3) Ibidem.
(5) Ibidem.
(6) Ibidem.