Houellebecq, extension du domaine économique






13 Février 2015

Alors qu’il est mort assassiné dans la tuerie de Charlie Hebdo le 7 janvier dernier, l’essai de l’économiste et journaliste Bernard Maris, paru en août, caracole en tête des meilleures ventes. Ironie du sort, ce « Houellebecq économiste » analyse parfaitement comment l’œuvre de Houellebecq incarne le malaise économique actuel.


Ce que l'on écrivait en août dernier sur le dernier essai de Bernard Maris, Houellebecq économiste, prend aujourd'hui un tour particulier. Depuis, comme tout le monde le sait, Bernard Maris est mort au siège de Charlie Hebdo le 7 janvier dernier. Soumission, le nouveau roman de Michel Houellebecq est sorti le même jour.

Malgré les évènements tragiques, l'essai de Bernard Maris reste excellent. Pour preuve, il figure en bonne place dans la liste des meilleures ventes. Au-delà, il est important de le soutenir. Et avec, le point de vue de l'économiste : « Si vous voulez ressentir la fièvre spéculative, il ne faut pas lire le dernier manuel d'analyse financière, mais L'Argent de Zola, et vous vivrez en direct un krach. Si vous voulez percevoir l'essence de la concurrence, ouvrez Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq...» écrivait Bernard Maris.

Attention, toutefois, il faut raison garder. Et en rien Michel Houellebecq, l’écrivain, morose et dépressif, est un économiste. Au contraire de Bernard Maris, lui, qui était un fin limier. Ce n’est pas Houellebecq comme économiste qui a inspiré l'auteur, mais ce que ses romans disent du monde économique actuel, des ses désillusions et de ses déceptions.

Ainsi, pour Bernard Maris, « aucun romancier n’avait, jusqu’à lui, aussi bien perçu l’essence du capitalisme, fondé sur l’incertitude et l’angoisse. » Dans Houellebecq économiste, Bernard Maris va plus loin. Pour lui, « personne n’a comme Houellebecq l’intelligence du monde contemporain. »
 
Pour se faire, et pour en arriver à ces conclusions, Bernard Maris, qui était chroniqueur à Charlie Hebdo et qui était professeur à l’Institut d’études européennes de Toulouse, ainsi qu’à Paris VIII, a dévoré tout Houellebecq. Il était aussi membre du Conseil général de la Banque de France, journaliste, entre autres, à Marianne, au Nouvel Observateur, au Monde, au Figaro Magazine. Il a décortiqué cinq romans de Houellebecq à travers lesquels, le malaise économique est envisagé sous toutes ses formes.
 
Car en effet, pour Bernard Maris, Houellebecq a une acuité que ne renieraient pas des visionnaires comme Keynes, Marx, Malthus, Fourier ou Schumpeter... La possibilité d’une île, par exemple, publié en 2005, aux Éditions Fayard, propose une vision du monde, déconcertante, pour ne pas dire épouvantable, proche de celle de Malthus. Houellebecq offre à lire un monde dévasté, au-delà du capitalisme, où seule, une petite minorité de privilégiés peut survivre.
 
Dans La carte et le territoire, publié en 2010, chez Flammarion, et Prix Goncourt la même année, Houellebecq se met à décrypter le monde du travail, divisé, avec une verve et une vivacité hors du commun.  Dans Plateforme, édité en 2001 toujours chez Flammarion, on découvre l’absurdité des concepts de l’inutile et de l’utile, la commercialisation du sexe...
 
On continue ? Extension du domaine de la lutte (1994, Maurice Nadeau), dénonce la compétition outrancière parmi les cadres, Les particules élémentaires, (Flammarion 1998), meilleur livre de l’année pour le magazine Lire, traite de l’individualisme, de la société de consommation et de ses excès.

C’est avec un style alerte et documenté, que l’auteur, Bernard Maris, propose cette plongée dans l'oeuvre de Houellebecq, et sa vision pas si décalée. Parfois, il va dans le sens de l’écrivain, et se sert de ses thèses, ou de ses opinions pour livrer un cours d’économie hors-norme !
 
Houellebecq économiste, Bernard Maris (Flammarion, 160 p.)