Géopolitique
Le jeu des puissances s’articule autour des permanences géographiques et territoriales1 qui constituent les grandes matrices géopolitiques. On se rappellera, pour éviter la sclérose déterministe, que les constantes prennent toute leur valeur au regard des ruptures.
Pour le Britannique MacKinder2, qui influence encore largement les représentations géopolitiques, le monde s’articule autour du heartland eurasiatique, en périphérie duquel se situent les îles britanniques et japonaises, le « monde extérieur » étant constitué de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Océanie.
Selon ce schéma, la maîtrise du monde appartient à qui contrôle le heartland. Pour MacKinder, trois puissances en étaient capables : la Russie, l’Allemagne ou la Chine. Il en définissait l’Europe de l’Est comme l’une des clefs territoriales, ce qui explique en partie l’empressement des États-Unis à pousser leurs pions dans cette région dès la fin de la Guerre froide et la négation d’une identité autonome ukrainienne par la Russie.
Une vision légèrement différente est celle de l’américain Spykman3. Pour lui, le Heartland peut être neutralisé par le contrôle de l’espace d’échanges de la ceinture littorale, qu’il nomme le Rimland. Plus qu’un obstacle, les mers sont devenues de formidables voies de communication qui favorisent aussi bien le commerce de masse que la projection de forces militaires, le faible coût du fret maritime annihilant l’aspect contraignant des distances4. Le contrôle du Rimland permet de marginaliser le cœur continental et de le diluer dans un espace terrestre malaisé à valoriser. Cette vision est celle de l’opposition entre puissance maritime et puissance continentale.
L’Amérique occupe le Rimland et ne voit que deux acteurs susceptibles de l’en évincer : Moscou et Pékin, ses seuls rivaux géostratégiques globaux. Les Américains ont tout mis en œuvre pour marginaliser la Russie. Elle s’est d’ailleurs finalement exclue toute seule de la partie en se discréditant militairement en Ukraine en 2022, enchaînant les revers face à une nation de troisième ordre.
La Chine est plus menaçante. La dimension terrestre de la « nouvelle route de la soie » réveille des espaces endormis et lui ouvre de nouvelles zones d’influence. Simultanément, elle occupe la première place mondiale dans la construction navale5 devant la Corée du Sud, sept des dix plus grands ports du monde sont chinois6, tandis que le « collier de perles » de ses bases maritimes s’égrène de la mer de Chine à la mer Rouge et annonce une ambition mondiale.
Le grand politologue américain Zbigniew Brezinski7 reconnaît également trois acteurs géostratégiques de moindre importance, mais susceptibles de mener une politique globale : la France, qui le fait ; l’Allemagne, qui le pourrait ; l’Inde qui le pourra. Il a, par ailleurs, déterminé des « pivots géopolitiques » qui sont l’Ukraine, la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Iran et la Corée du Sud. On mesure encore une fois à cette aune l’intérêt russe et américain pour l’Ukraine, mais aussi l’importance de la question iranienne, l’indulgence pour les frasques turques8 ou l’engagement américain en Corée ! Le déploiement de troupes américaines pendant quinze ans en Afghanistan, voisin de l’Azerbaïdjan ne s’explique peut-être pas que par la volonté de se venger des bergers Pashtounes. Si l’Ukraine est un simple enjeu entre les grands, les autres pivots jouent désormais leur propre partition régionale.
Les absents de ce tableau sont évidemment la Grande-Bretagne et le Japon qui ont fait, pour des raisons différentes, le choix d’une « relation spéciale » et de l’intégration avec les États-Unis. Prolongements de la puissance géostratégique américaine, ils n’en sont pas considérés comme des éléments perturbateurs ou rivaux.
Cette proximité n’exclut pas de violentes rivalités économiques dont le Japon a fait les frais à la fin des années 1980. Par ailleurs, le cas du Royaume-Uni diffère de celui du Japon, dont l’alignement ne relève pas d’une proximité culturelle et stratégique, mais de la peur du voisinage chinois. Dès 1933, l’amiral Toyada écrivait d’ailleurs de manière prémonitoire à M. Forbes, ambassadeur des États-Unis : « nous et nos enfants aurons à faire un choix entre le capitalisme anglo-saxon et le communisme sino-russe. Si la Chine devient communiste […] il y a de fortes chances pour que nous soyons amenés… à servir de poste avancé au capitalisme anglo-saxon9.»
Pour le Britannique MacKinder2, qui influence encore largement les représentations géopolitiques, le monde s’articule autour du heartland eurasiatique, en périphérie duquel se situent les îles britanniques et japonaises, le « monde extérieur » étant constitué de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Océanie.
Selon ce schéma, la maîtrise du monde appartient à qui contrôle le heartland. Pour MacKinder, trois puissances en étaient capables : la Russie, l’Allemagne ou la Chine. Il en définissait l’Europe de l’Est comme l’une des clefs territoriales, ce qui explique en partie l’empressement des États-Unis à pousser leurs pions dans cette région dès la fin de la Guerre froide et la négation d’une identité autonome ukrainienne par la Russie.
Une vision légèrement différente est celle de l’américain Spykman3. Pour lui, le Heartland peut être neutralisé par le contrôle de l’espace d’échanges de la ceinture littorale, qu’il nomme le Rimland. Plus qu’un obstacle, les mers sont devenues de formidables voies de communication qui favorisent aussi bien le commerce de masse que la projection de forces militaires, le faible coût du fret maritime annihilant l’aspect contraignant des distances4. Le contrôle du Rimland permet de marginaliser le cœur continental et de le diluer dans un espace terrestre malaisé à valoriser. Cette vision est celle de l’opposition entre puissance maritime et puissance continentale.
L’Amérique occupe le Rimland et ne voit que deux acteurs susceptibles de l’en évincer : Moscou et Pékin, ses seuls rivaux géostratégiques globaux. Les Américains ont tout mis en œuvre pour marginaliser la Russie. Elle s’est d’ailleurs finalement exclue toute seule de la partie en se discréditant militairement en Ukraine en 2022, enchaînant les revers face à une nation de troisième ordre.
La Chine est plus menaçante. La dimension terrestre de la « nouvelle route de la soie » réveille des espaces endormis et lui ouvre de nouvelles zones d’influence. Simultanément, elle occupe la première place mondiale dans la construction navale5 devant la Corée du Sud, sept des dix plus grands ports du monde sont chinois6, tandis que le « collier de perles » de ses bases maritimes s’égrène de la mer de Chine à la mer Rouge et annonce une ambition mondiale.
Le grand politologue américain Zbigniew Brezinski7 reconnaît également trois acteurs géostratégiques de moindre importance, mais susceptibles de mener une politique globale : la France, qui le fait ; l’Allemagne, qui le pourrait ; l’Inde qui le pourra. Il a, par ailleurs, déterminé des « pivots géopolitiques » qui sont l’Ukraine, la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Iran et la Corée du Sud. On mesure encore une fois à cette aune l’intérêt russe et américain pour l’Ukraine, mais aussi l’importance de la question iranienne, l’indulgence pour les frasques turques8 ou l’engagement américain en Corée ! Le déploiement de troupes américaines pendant quinze ans en Afghanistan, voisin de l’Azerbaïdjan ne s’explique peut-être pas que par la volonté de se venger des bergers Pashtounes. Si l’Ukraine est un simple enjeu entre les grands, les autres pivots jouent désormais leur propre partition régionale.
Les absents de ce tableau sont évidemment la Grande-Bretagne et le Japon qui ont fait, pour des raisons différentes, le choix d’une « relation spéciale » et de l’intégration avec les États-Unis. Prolongements de la puissance géostratégique américaine, ils n’en sont pas considérés comme des éléments perturbateurs ou rivaux.
Cette proximité n’exclut pas de violentes rivalités économiques dont le Japon a fait les frais à la fin des années 1980. Par ailleurs, le cas du Royaume-Uni diffère de celui du Japon, dont l’alignement ne relève pas d’une proximité culturelle et stratégique, mais de la peur du voisinage chinois. Dès 1933, l’amiral Toyada écrivait d’ailleurs de manière prémonitoire à M. Forbes, ambassadeur des États-Unis : « nous et nos enfants aurons à faire un choix entre le capitalisme anglo-saxon et le communisme sino-russe. Si la Chine devient communiste […] il y a de fortes chances pour que nous soyons amenés… à servir de poste avancé au capitalisme anglo-saxon9.»
1 L’ouvrage géopolitique de référence en langue française demeure l’ouvrage de CHAUPRADE Aymeric, Géopolitique, constantes et changements dans l’histoire, PUF, Paris, 2001.
2 Halford John MacKinder, 1861-1947, est considéré comme le fondateur de la géopolitique.
3 Nicholas Spykman, 1893-1943, est notamment l’auteur de America’s Strategy in World Politics, the United States and the Balance of Power.
4 Ce coût est si faible que, par exemple, les bananes des Antilles françaises partent en Europe pour toucher leurs subventions avant d’être réimportées. Même pour un produit à très faible valeur ajoutée, la traversée aller-retour de l’Atlantique reste rentable !
5 Le gouvernement chinois cible une position dominante dans les équipements maritimes high tech en 2025.
6 Chiffres de 2017.
7 BREZINSKI Zbigniew, The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Basic Books, New York, 1997.
8 Longtemps considérée comme un allié sous influence américaine, Istanbul manifeste de plus en plus ouvertement son autonomie stratégique.
9 BENOIST-MECHIN Jacques, Histoire de l’armée allemande, tome 1, Bouquins, Paris, 1984, p. 849.
2 Halford John MacKinder, 1861-1947, est considéré comme le fondateur de la géopolitique.
3 Nicholas Spykman, 1893-1943, est notamment l’auteur de America’s Strategy in World Politics, the United States and the Balance of Power.
4 Ce coût est si faible que, par exemple, les bananes des Antilles françaises partent en Europe pour toucher leurs subventions avant d’être réimportées. Même pour un produit à très faible valeur ajoutée, la traversée aller-retour de l’Atlantique reste rentable !
5 Le gouvernement chinois cible une position dominante dans les équipements maritimes high tech en 2025.
6 Chiffres de 2017.
7 BREZINSKI Zbigniew, The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Basic Books, New York, 1997.
8 Longtemps considérée comme un allié sous influence américaine, Istanbul manifeste de plus en plus ouvertement son autonomie stratégique.
9 BENOIST-MECHIN Jacques, Histoire de l’armée allemande, tome 1, Bouquins, Paris, 1984, p. 849.