La négociation : clé de toute crise






4 Mai 2022

« Le socle de la négociation de crise est de créer un climat de confiance et sincère ». Les recruteurs, les négociateurs du RAID, les entreprises, la démocratie…Tous sont confrontés à la négociation, étape inéluctable.
Ancien négociateur de crise à l’antenne du RAID et au GIPN, Didier Gueguen vient de publier « Les recruteurs de la mort, La communication djihadiste décryptée par un négociateur du RAID » (VA Éditions). Il y détaille la convergence entre les techniques de communication utilisées par les négociateurs pour gérer les situations de crise, et celles utilisées par les recruteurs de DAESH .


Lors de la négociation, il y a deux principes forts : ne jamais mentir et ne jamais promettre quelque chose non réalisable. Ce cap à ne pas franchir a-t-il tant d’importance ?

En effet, en négociation de crise, on ne ment jamais, car nous partons du postulat que nous pouvons être amenés à revoir l’individu en crise. Un individu qui présente un profil psychiatrique ira en centre, mais peut se rappeler que le négociateur du Raid lui a menti et ne voudra plus jamais lui parler. Un individu rationnel à qui on mentirait ira en prison et « polluera » tous ses codétenus en leur disant que les négociateurs du RAID sont des menteurs, qu’on s’est joué de lui. Par conséquent, cela mettra en péril toutes les futures négociations. Le socle de la négociation de crise est de créer un climat de confiance et sincère.
 

Au-delà des méthodes de négociations qui offrent une certaine sécurité au négociateur, comment celui-ci fait-il pour ne pas céder sous l’anxiété pouvant être créée par la situation ?

L’entraînement et les mises en situation permettent d’apprendre à gérer nos propres émotions dans toutes situations émotionnellement fortes. Lors de celles-ci, nous élaborons des scénarios complexes avec otages, pièges, profils psychotiques et/ou instables etc.... De cette façon, nous créons des souvenirs que notre cortex pourra interroger lors des futures négociations trouvant ainsi une réponse plus ou moins appropriée à la nouvelle situation. Le vécu et l’expérience participent également à la gestion du stress que peuvent générer certaines situations. Le négociateur peut également compter, par exemple lors d’un contact en visuel, sur l’appui et le soutien du groupe tactique et des snipers et ne se sent donc à aucun moment en situation de danger grâce à cette confiance aveugle dans les hommes qui composent la colonne d’assaut et qui assurent sa sécurité. Pour être dans une écoute active à 100 % il doit pouvoir se mettre dans une bulle de confort et ne pas avoir à penser en même temps à sa propre sécurité qu’il met entre les mains de ses collègues.

La négociation que vous pratiquez lors d’une crise est-elle comparable à une négociation appliquée dans une entreprise ou dans des relations diplomatiques par exemple ?

De nombreux parallèles peuvent effectivement être faits entre ses différents mondes. Le monde de l’entreprise a compris que les négociations de type one shoot ne sont pas intéressantes sur le long terme. Comme pour une négociation avec un individu forcené, les négociateurs peuvent être amenés dans le temps à renégocier avec la même entreprise. Le pire étant si lors de la dernière négociation commerciale, l’une des parties soit repartie avec le sentiment de s’être fait avoir. Dès lors, la future négociation serait soumise à tension pour l’un des négociateurs qui n’aurait pas envie de « subir » la même frustration et donc qui serait dans une posture non plus gagnant/gagnant, mais de suspicion, d’appréhension, de peur de perdre encore une fois et donc gangrènerai la relation de confiance nécessaire à un accord final satisfaisant pour les parties. Encore une fois, celle-ci s’obtient par une confiance, obtenue elle par l’écoute active, l’empathie et la reconnaissance des besoins de l’autre. Si l’un des négociateurs arrive en étant paranoïaque ou suspicieux sur les réelles intentions de cette entreprise qui a par le passé négocié agressivement ou par ruse, il sera plus difficile de trouver un accord profitable à tous.
 
Dans le mode diplomatique, de forts enjeux géopolitiques et stratégiques sont à la manœuvre, le négociateur ne peut pas travailler seul, il faudra prévoir de nombreuses ruptures de contacts afin de briefer, analyser chaque nouvelle, informations ou demandes avec des conseillers militaires ou civils. Le facteur temps est démultiplié pour ne pas ébranler une confiance qui pourrait être préjudiciable aux intérêts des deux pays. Pour le reste les techniques employées seront les mêmes.