Les cons : mode d’emploi






9 Avril 2013

Professeur de philosophie à l’University of California – Irvine, Aaron James a signé en 2012 un ouvrage pour le moins surprenant. Sobrement intitulé Assholes(1), cet essai a pour prétention d’étudier la mécanique de la connerie et le caractère irritant de son incarnation : le con. Quoi de plus naturel pour un chercheur spécialisé dans le thème de l’éthique que de se pencher sur le cas si particulier de ceux qui en semblent à priori dépourvus au quotidien ?


Comme tout travail sérieux de philosophie, Assholes fait un effort de définition rigoureux. Qu’est-ce qu’un con ? D’après Aaron James, il s’agit d’une personne qui s’attribue lui-même des privilèges, pensant être dans son bon droit. Ce dernier trait est d’ailleurs central dans la définition du con puisqu’il le distingue des délinquants et criminels en tout genre qui savent que leurs actes sont condamnables ou ignore leur caractère préjudiciable. Le sentiment de légitimité du con amène un dernier élément de définition tout aussi essentiel : il s’agit de sa surdité aux complaintes de tous ceux qu’il gène.
 
En vertu de cette définition, le con est donc visible avant tout à travers ses méfaits. Au demeurant mineurs, ces gestes et leurs conséquences n’en restent pas moins insupportables : chez lui faisant hurler sa chaîne hi-fi à des heures indécentes, ou dans les rues garé en double file aux heures de pointe pour aller acheter son paquet de cigarettes, le con ne cause finalement que des torts négligeables, mais il énerve tous ceux qu’il croise au plus haut  point. C’est ce décalage paradoxal entre la gêne occasionnée par le con et l’intensité des réactions que cela suscite autour de lui qui intéresse ici Aaron James.
 
Malgré son caractère insignifiant, pourquoi le con est-il si irritant ? En guise de réponse à cette question, Aaron James développe sa théorie au sujet des cons. Ce qui irrite toute personne se trouvant en présence d’un con, ce n’est finalement pas ce qu’il fait ; les conséquences de ses actes étant, nous l’avons vu, insignifiantes. Le con énerve parce que son comportement traduit un sentiment de supériorité qui contredit le principe d’égalité morale des individus qui se trouve au fondement de tout échange social. Et Aaron James de détailler dans son livre toutes les raisons qui font qu’un homme peut se sentir investi d’une telle supériorité.
 
L’auteur passe en revue les profils de cons, mais aussi leurs origines. L’éducation peut jouer un rôle dans l’acquisition d’une psychologie tendant à s’affirmer au détriment d’autrui. La culture peut également la favoriser plus ou moins selon sa tolérance à certains comportements types. Si le con ne semble pas échapper au déterminisme, il demeure pour Aaron James un être à blâmer. Selon l’auteur, le con est condamnable notamment parce qu’en faisant fi des règles de la collaboration humaine et en les détournant à son avantage, il dissuade les autres de collaborer, menaçant ainsi la stabilité d’une société. Ce scénario, précise Aaron James, est particulièrement redoutable dans les sociétés capitalistes et démocratiques ou la justice ne saurait punir les cons et se défendre contre eux sans verser dans le totalitarisme.
 
La civilisation humaine est-elle dès lors entièrement démunie contre les cons ? Si l’espoir de tout changement chez le con semble irréaliste, tout comme une réponse institutionnelle à son comportement, l’auteur en appelle toutefois au volontarisme et à la patience. Certes, le con ne reconnaitra jamais le préjudice qu’il fait à son voisin. Mais désapprouver son attitude devant l’assistance au moment des faits à au moins deux mérites : cela permet à la victime de retrouver, à travers le regard de tierces personnes, la considération morale dont le con l’a privée, et cela rend le con insignifiant. Ainsi réduite et étroitement encadrée dans l'espace social, la bêtise humaine en viendrait presque à se faire oublier. Une satisfaction qu’il s’agit de savoir apprécier.
 


(1)JAMES, A., Assholes – A Theory, Nicholas Brealey Publishing, 2012, 288pp..