Les deux faces d'un même Brésil






25 Juin 2013

En cette fin du mois de juin 2013, le Brésil est secoué par de virulentes manifestations. La hausse du prix des transports en commun n’a été que l’étincelle d’un mouvement renvoyant désormais dos à dos le gouvernement et les difficultés internes du pays. Alors que sur la scène internationale sa position semble durablement établie, le premier représentant des BRIC traverse un épisode de doute.


Une position d’hégémon régional ?

Rio de Janeiro - Crédit photo : Ramon
La construction du Brésil a fait de ce pays un hégémon régional en Amérique latine. Cela tient en partie de sa position géographique, puisqu’à l’exception de l’Équateur et du Chili, le Brésil partage sa frontière avec tous les pays du continent sud-américain. En outre, il possède de nombreux atouts naturels incontestables qu’il a cependant tardé à exploiter. Cinquième pays au monde en surface et en population, il possède toutes les clefs d’une économie émergente et fait d’ailleurs aujourd’hui parti des dix plus grandes économies de la planète. « Ces facteurs lui assurent d’abord et avant tout une domination incontestable dans sa propre région dont il représente 40 % du territoire et à peu près la moitié du PIB et de la population »(1).
 
Une des caractéristiques d’un hégémon régional – sans être non plus déterminante – réside dans la taille de son pays et surtout de sa population. Il peut ainsi exercer de cette manière non seulement un pouvoir économique qu’il tire de ses ressources naturelles(2), mais aussi exercer une forme de soft-power(3), avec l’influence de la diaspora de sa population dans les pays étrangers et notamment ceux, voisins. Les caractéristiques intrinsèques du pays font donc que Brésil, comme « les États-Unis, en somme, et à la différence de toutes les autres puissances de la planète […] – n’en déplaise à Hugo Chávez – n’a pas de concurrent et surtout pas d’ennemi véritable dans son environnement stratégique immédiat »(4).
 
Les spécificités politiques du Brésil font que les élections présidentielles (mandat de quatre ans renouvelable une fois) tombent à la même période que celles, législatives. La fonction de Président y est très importante puisqu’il prodigue à ce dernier une forte propension à contrôler le Congrès. L’actuelle présidente, Dilma Rousseff, était la candidate en 2011 du Parti des travailleurs, le même parti dont est issu l’ancien Président du Brésil de 2003 à 2011 Luiz Inacio Lula da Silva. Avant son arrivée à la présidence, la dauphine de Lula avait déjà une expérience significative au niveau du pouvoir exécutif puisqu’elle avait exercé successivement les fonctions de ministre des Mines et de l'énergie de 2002 à 2005 puis chef de la Casa civil de 2005 à 2010 (cabinet du Président). Ainsi, Dilma Rousseff jouit-elle d’une légitimité populaire certaine à la tête du pays. Mais cela n’a pas empêché les tensions d’émerger.

Le Brésil dans les relations internationales

Le Brésil s’est par ailleurs remarquablement bien intégré dans la géométrie des relations internationales. En une dizaine d’années, particulièrement depuis l’élection de Lula, le pays s’est inséré dans la logique des relations internationales comme un acteur aspirant à prendre de l’importance. Loin de rester dans sa qualité d’État émergent, il a adopté des positions fortes sur la scène internationale, notamment en s’opposant à des sanctions contre l’Iran. « Peu de questions globales peuvent aujourd’hui être abordées sérieusement, et peu de problèmes réglés, sans que le Brésil ne soit autour de la table »(5).
 
Le tournant de cette présence a été le basculement du XXe au XXIe siècle, époque qui a vu l’effondrement du bloc soviétique et la domination sans partage – pendant un temps assez court – des États-Unis. Aussi, « depuis la fin de la Guerre froide […] un espace important [a été ouvert] pour de nouveaux joueurs. […] Le Brésil a remarquablement réussi à investir cet espace, et il doit ce succès à une combinaison assez étonnante de facteurs, essentiellement intérieurs »(6). Néanmoins, la bonne santé économique du pays ne doit pas oblitérer les difficultés sociales internes.

Une structure interne difficile à appréhender et une déconnexion entre politique et population

En juin 2013, le Brésil n’avait pas connu des manifestations depuis une vingtaine d’années. L’annulation de la hausse des prix des transports en commun n’a pas réussi à calmer les revendications, et ils étaient près d’un million dans les rues de tout le pays le 20  juin. Après une dizaine de jours de manifestations, il apparait clairement que les revendications ne visent plus le prix des transports et que le soulèvement populaire traduit un malaise bien plus profond qu’il n’y parait.
 
Malgré une économie toujours bien portante, la pauvreté reste une difficulté majeure du pays. Ainsi, environ « 22 pour cent de la population (quelque 42 millions de personnes) vivent sous le seuil de pauvreté national (Beghin, 2008). […] Le Brésil connaît de profondes inégalités de revenus entre les zones rurales et les zones urbaines, et au sein de ces zones rurales et urbaines, des inégalités d’accès à la terre, au logement, à l’infrastructure, à l’eau et à d’autres services et possibilités sociaux et économiques, comme l’éducation, la santé, l’emploi, le crédit, les services d’appoint, l’Internet, etc »(7). Le Brésil a donc du mal à se départir de l’inégalité sociale qui règne en son sein.
 
La naissance d’un tel mouvement traduit alors à la fois des déceptions de la part de la population, car le Brésil est dans un ralentissement de sa croissance qui sera de 0,9 % en 2013 contre 7,5 % lorsque Lula était au pouvoir, mais aussi un sentiment d’injustice qui tient à l’inflation croissante qui provoque une augmentation rapide des prix des produits de consommation (par exemple, les produits alimentaires ont augmenté de 20 % depuis le début de cette année). Par ailleurs, le mauvais état des services publics ajouté à la corruption pèse sur la population.
 
Enfin, les dirigeants sont de plus en plus déconnectés vis-à-vis des Brésiliens. Le Parti des travailleurs se bureaucratise et quitte encore davantage son penchant (un temps d’extrême gauche) vers une gauche de plus en plus modérée et libérale. Or cela fait déjà dix ans que le même parti politique est aux commandes du pays. N’ayant pas été anticipée, la mobilisation de la population brésilienne soulève donc, quelques jours après son déclenchement, beaucoup d’incertitude, et rien ne dit que les forces politiques en présence en ressortiront indemnes.
 

(1) Daudelin Jean, « Le Brésil comme puissance : portée et paradoxes », Problèmes d'Amérique latine, 2010/4 N° 78, p. 29-46.
(2) Le Brésil possède notamment de nombreuses ressources en pétrole offshore.
(3) Selon la théorie de Joseph Nye.
(4) Daudelin Jean, « Le Brésil comme puissance : portée et paradoxes », Problèmes d'Amérique latine, 2010/4 N° 78, p. 29-46.
(5) Ibidem.
(6) Ibidem.
(7) Kiggundu Moses N., « La lutte contre la pauvreté et le changement social progressif au Brésil : Enseignements destinés aux autres », Revue Internationale des Sciences Administratives, 2012/4 Vol. 78, p. 785-808.