Pourquoi je ne voterai pas à gauche au premier tour






18 Juin 2024

Après plus de cinquante ans de militantisme à gauche, Richard Domps fait un choix inédit : ne pas voter à gauche au prochain scrutin. Il s'inquiète de la montée des courants intolérants et économiquement irréalistes au sein de la gauche actuelle, dominée par le « Front Populaire ». Richard Domps craint que cela pave la voie à une victoire de l'extrême droite en 2027, mettant en péril nos libertés démocratiques. Pour lui, soutenir l'« arc républicain » est désormais crucial pour préserver notre société et préparer une véritable transformation sociale.


Plus de 50 ans que je vote et milite à gauche, ce n’est pas demain la veille que j’abandonnerai mes idées en faveur du progrès social et de l’extension des libertés et de la démocratie. Mais cette fois-ci je ne voterai pas à gauche, et ce, pour deux raisons.
D’abord parce que ce « Front Populaire », successeur de la NUPES, est dominé par sa partie la plus intolérante et inquiétante, dont le racialisme1 et l’irréalisme en matière économique abîmeront encore plus notre société.

La seconde raison est que, même si Emmanuel Macron reste président de cohabitation2 et nous protège des excès liberticides, l’expérience Front Populaire sera si désastreuse que l’extrême droite gagnera haut la main la présidentielle de 2027. Et alors plus aucun frein à une évolution illibérale à la hongroise, voire carrément dictatoriale à la russe.

Bien sûr on pourrait tenter de faire arriver le RN au pouvoir dès maintenant, afin d’expérimenter, tant que Macron est président, ses idées à géométrie variable3. Mais l’idée est très risquée, car Macron pourrait se démettre, soit de son propre chef, soit sous la pression de la rue, ce qui pourrait même conduire au développement de milices brutales rappelant celles de 1923 en Italie (Mussolini) ou de 1933 en Allemagne (Hitler).

Même si Macron reste président et si on évite le développement des violences de rue, l’extrême droite pleurnichera qu’elle n’a pas pu exercer pleinement le pouvoir4 et s’en servira comme argument en 2027 pour faire élire sa/son candidat(e).

Alors que reste-t-il pour les législatives 30 juin et du 7 juillet ? Un – pour l’instant petit - « arc républicain » qui regroupe la droite classique qui ne s’est pas acoquinée avec le RN, la macronie et peut-être une gauche républicaine classique, capable de s’unir tactiquement avec les deux susnommées pour gagner du temps et préserver l’avenir.
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La gauche s’est complètement affaiblie intellectuellement : elle navigue entre le pseudo-réformisme à la François Hollande qui, après de fortes paroles contre la finance, s’est coulé dans une politique plutôt régressive socialement, et les folles promesses d’un front populaire qui, comme François Mitterrand en 1983, les abandonnera vite. La vraie raison est que la gauche a abandonné la réflexion politique de long terme, pour se cantonner à la conquête du pouvoir.

Cette propension à promettre beaucoup sans tenir est une menace pour le vrai réformisme, celui qui fait réellement progresser la société et de façon durable. Si la réforme n’est plus qu’une régression5, comment encore croire au progrès ? A preuve, la droite la plus dangereuse est désormais aux portes du pouvoir.

Face à cette gauche du verbe qui parle beaucoup pour faire peu quand elle est au pouvoir, il nous faut développer une « gauche des projets » qui réformera profondément et, surtout, positivement. Mais ce ne sera pas du jour au lendemain, puisque, comme nous l’écrivons dans le « manifeste social-libéral », nous proposons une progressivité sur 30-40 ans.

30-40 ans vous semble un horizon trop lointain ? Pourtant, si Mitterrand, il y a plus de 40 ans, s’était lancé dans un vrai réformisme de long terme au lieu de se complaire dans le verbe (et les manœuvres), nous serions déjà dans cette nouvelle société plus calme, plus riche en services et biens réels, tout en étant plus économes et plus sobres écologiquement.

C’est cela la vraie gauche qu’on désire, celle qui fera progresser de façon durable et non celle dont les échecs font le lit de l’extrême droite : cela vaut le coup de patienter encore trois ans, le temps d’élaborer et partager ces projets transformateurs, puis de les proposer aux électeurs.

Dans l’attente, votons « arc républicain » au premier tour, afin de préserver une société imparfaite, mais pas trop délabrée, pour rebondir ensuite vers une transformation sociale et écologique majeure qui nous libérera des (op)pressions politiques, économiques, écologiques et religieuses.

Et continuons au second si c’est possible. Sinon tout dépendra de savoir si le candidat de gauche est susceptible de rejoindre l’arc républicain.
 
[1] Ce serait la droite, on dirait racisme ; à gauche, on aime les fausses nuances, surtout quand cela fait gagner des voix
[2] Il est tellement imprévisible qu’on ne peut en être sûr)
[3] La version populiste presque socialisante de Marine le Pen et celle plus franchement réactionnaire de Jordan Bardella
[4] Il n’est pas nécessaire que ce soit vrai : il suffira de l’affirmer et beaucoup d’électeurs l’avaleront sans réfléchir
[5] Ce qu’elle est devenue en règle générale avec Hollande et son héritier (Macron)

Richard Domps est diplômé de l’école Polytechnique, de Sciences Po et de l’ENSAE. Élu municipal, il est coauteur du « Manifeste social-libéral » publié chez VA Éditions