Les rodéos urbains ou « cross bitume » qui apparaissent en France dans les années 2000 prennent aujourd’hui une ampleur considérable notamment à la sortie des périodes de confinement.
Relayés à grands renforts de médias qui se délectent de ce genre d’évènements et des réseaux sociaux qui sont devenus des leviers incontournables, ces rodéos sont aujourd’hui bien présents dans le paysage social urbain.
Conduites dangereuses, accidents parfois mortels, infractions multiples au code de la route, sentiment d’insécurité ou d’impunité exacerbent les passions de la population et des classes politiques qui s’affrontent avec ignorance et incompétence sur ce sujet sociétal.
Le débat est effectivement au cœur d’une société Française qui peine elle-même à trouver un liant social dans lequel le respect de l’autre dominerait sur les besoins ou les envies personnelles.
Avant d’aller plus avant, il convient de savoir ce qu’est un rodéo urbain et dès la définition de cette pratique, on constate l’opposition frontale entre la loi, la police, l’ordre public en général et une pratique urbaine qui a ses règles et ses codes.
Que dit la loi ?
« Comportements compromettant délibérément la sécurité ou la tranquillité des usagers de la route » (LOI n° 2018-701 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les rodéos motorisés). « Le fait d'adopter, au moyen d'un véhicule terrestre à moteur, une conduite répétant de façon intentionnelle des manœuvres constituant des violations d'obligations particulières de sécurité ou de prudence prévues par les dispositions législatives et réglementaires du présent code dans des conditions qui compromettent la sécurité des usagers de la route ou qui troublent la tranquillité publique est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. »
La loi sanctionne les infractions et c’est son rôle. C’est normal dans une démocratie. Comme le soulignait fort justement l’ancien chef d’état-major des armées, le général d’armée Pierre de Villiers, « la force doit toujours s’opposer à la violence ».
Cela étant dit, il serait également intelligent de se demander comment mettre en place des actions, des solutions pour éviter d’en arriver là...
Que dit la classe politique ?
Comme à l’accoutumée, les droites rivalisent de solutions de plus en plus répressives. A gauche, on privilégierait plutôt les actions d’inclusions sociales et on hésite toujours à se positionner sur les actions répressives.
Au-delà des actions « percutantes » des uns et des hésitations des autres, les solutions existent et elles sont tellement évidentes !
Que fait-on avec cette jeunesse en recherche de repères, de sensations fortes et d’adrénaline ?
On leur dit que c’est mal ?! On les sanctionne encore plus fort pour renforcer leur ressentiment à l’égard de l’ordre social ?!
C’est un peu comme si on essayait d’applaudir d’une seule main ! On s’agite beaucoup, on fait beaucoup de mouvements, pour peu de résultats...
S’est-on seulement posé la question, dans les « hautes sphères » parisiennes, de savoir pourquoi ces jeunes adoptaient de tels comportements ?
Dans la vie de la rue, loin des lustres, les solutions réussissent par des actions de terrains, concrètes, par une occupation durable de l’espace et du temps, comme avait pu l’être en son temps la « police de proximité », trop rapidement anéantie. On en paye aujourd’hui l’addition !
Ceci étant dit, que fait on ?
Comme je le rappelle dans l’Abécédaire de la sécurité communale et intercommunale, il n’y a jamais une seule solution à un désordre. C’est à chaque fois la combinaison de plusieurs actions de prévention et de répression qui conduit à la réussite.
Loin de moi de laisser entendre que la répression serait inutile. Au contraire, elle structure pour partie la doctrine d’emploi de la stratégie à mettre en œuvre. Elle s’appuie obligatoirement sur la prévention, son fidèle « binôme ».
C’est le plus dur à faire entendre et je dois avouer que ces dernières années, j’ai passé plus de temps à me confronter aux responsables locaux de la sécurité publique, parfois très durement, qui m’expliquaient pourquoi on ne pouvait pas faire telle ou telle action nouvelle.
C’est ce qui est aujourd’hui épuisant. Quand on propose une solution, on s’acharne d’abord à vous expliquer pourquoi ça ne fonctionnera pas !
A ce titre, une maxime me revient toujours : « Tout homme qui dirige, qui fait quelque chose, a contre lui ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui font précisément le contraire et surtout la grande armée des gens d'autant plus sévères qu'ils ne font rien du tout. (Jules Claretie).
Comme je le souligne dans mon schéma « gradation de la réponse locale » (voir image ci-dessous), chaque désordre doit appeler une réponse locale qui va s’organiser elle-même autours de plusieurs actions.
Un désordre nécessite bien sûr une ou plus actions répressives pour faire cesser le trouble mais nécessite surtout des actions de prévention pour éviter non seulement la récidive mais également le passage à l’acte des plus jeunes qui prennent souvent comme exemple les actions des aînés.
C’est comme une partie d’échec, il faut toujours avoir plusieurs coups d’avance sur son adversaire.
Souvent, les actions délinquantes sont le reflet d’un message. Que nous disent ces jeunes qui défient les autorités ? Mettons-nous deux secondes à leur place, non pas sur la selle mais dans leur tête...
Je n’ai pas froid aux yeux ! Je maîtrise une machine de plus de 100 kg lancée à vie allure ; J’ai besoin de sensations fortes. Je n’ai pas peur de faire des choses insensées ; J’ai besoin d’être vu, admiré et mis en valeur.
En face, que leur dit-on ? C’est mal ?! »
Croit-on vraiment qu’en leur infligeant une amende, ces jeunes vont arrêter ce type de mode de vie ? Est-on assez candide pour penser que la peur de la sanction ou de l’uniforme est suffisante ? Est-on enfin assez naïf pour penser régler ce type de problème en augmentant seulement le niveau de la répression ?
Par ailleurs, le durcissement à outrance de la répression peut induire le phénomène inverse, c’est à dire inhiber le sentiment de peur ou de prudence du délinquant et, au contraire, l’inciter à passer à l’action.
Les communes qui ont compris que la solution était multiple ont initié intelligemment des actions de prévention en proposant des stages de cross à ces jeunes. Ces communes ont parfaitement compris qu’il était beaucoup plus pertinent d’agir avant que le désordre n’arrive plutôt que de prioriser les actions de répression.
L’initiative de Mehdi Benfasi, directeur régional de Synergie Family, en région lyonnaise illustre parfaitement la cohérence de combiner les actions de prévention.
Occuper l’espace et le temps est une notion fondamentale qui devrait être pris en compte par toutes les communes qui déplorent ce type de délinquance.
La stratégie à mettre en œuvre : Reprendre et conserver le terrain dans l'espace et le temps.
1 – Reprendre le terrain : la conquête
Briser les tentatives de rodéos par des actions multiples, rapides, directes et répétées sur les groupes et les individus :
Opérations de police coordonnées et répétées sur ces lieux de rodéos (harceler légalement le délinquant) ;
Réprimer toutes les infractions constatées en utilisant tout l’éventail juridique des sanctions.
Saper les supports logistiques qui soutiennent ces groupes :
Contrôles stricts des garages et/ou établissements vendeurs de motos ou de scooters.
2 – Conserver le terrain repris : la conservation
Pérenniser les patrouilles PM pédestres sur ces zones
Programmer des patrouilles de police de proximité (îlotage), à pied sur les sites sensibles ;
Programmer des opérations radars fréquentes aux horaires sensibles ;
Programmer des opérations de contrôle des commerces qui soutiennent les délinquants ;
Maintenir la pression sur le délinquant ;
Convoquer les personnes connues et les parents de mineurs pour des rappels à l’ordre du maire.
Occuper l'espace et le temps :
Créer un vrai service de médiation (objectif : occuper l'espace et le temps) ;
Créer des comités de quartier avec les habitants sur cette thématique pour sensibiliser la jeunesse et les parents ;
Créer des actions de prévention dans les écoles primaires et secondaires pour éduquer les plus jeunes.
Mettre sur pied une « vraie » politique jeunesse (13 / 25 ans) :
Réaliser un nouvel audit communal ;
Développer les actions en faveur de la réinsertion des jeunes (de rue) ;
Réaliser des rencontres sportives liées à cette discipline, avec des célébrités du sport.
Cette stratégie globale s'appuie donc sur les deux principes de réappropriation et de conservation du terrain acquis. Cette reconquête ne pourra être réussir que si l'ensemble des actions est réalisé de manière concomitante ou très proche dans le temps.
Reprendre une zone, c'est bien. La conserver c’est mieux. La rendre « étanche » aux futures tentatives c’est le but à atteindre.
Jean-Christophe Quintal est l'auteur de "Abécédaire de la sécurité communale et intercommunale" (VA Éditions) .