Une révolution intellectuelle est-elle possible ?






9 Octobre 2023

En cette ère de relativisme généralisé, le discernement semble devenir une denrée rare. Jean-François Le Drian, à travers son dernier ouvrage "Activismes" à paraitre chez VA Éditions, brise les barrières de la complaisance intellectuelle. Avec une clarté remarquable, il dissèque l'influence de l'activisme et de la pensée post-moderne sur notre appréhension de la science, de la culture et de l'identité. À la croisée des chemins entre philosophie, épistémologie et sociologie, il nous offre une critique tranchante des dynamiques contemporaines tout en plaidant pour une véritable révolution intellectuelle.


Dans votre livre, vous abordez les rapports ambigus entre l’activisme, la science, et le concept de scientificité. Quelle est votre vision sur la manière dont l’activisme a influencé ou déformé la compréhension populaire de la science ?

L’activiste a une relation ambigüe avec la science. Pour lui, la science ne sert qu’à produire des rationalisations susceptibles d’armer ses combats. Et quand la science vient fragiliser voire discréditer son discours, il est prêt à remettre en cause le concept même de scientificité. Le réel, l’étant comme vérité au sens de Saint Augustin, est une contrainte que parfois l’idéologue ne supporte pas.

Aujourd’hui, la science, les concepts de théorie scientifique et de scientificité sont très mal compris. Pour le grand public, il suffit qu’une théorie soit scientifique pour qu’elle soit vraie.

Or, par définition il n’existe pas de théorie « vraie ». Pour faire simple on peut dire qu’une théorie est valide tant que son noyau de postulats n’a pas été falsifié ou réfuté et qu’une meilleure théorie est apparue. La science par définition est censée se remettre constamment en question. La fécondité d’une théorie ne peut s’apprécier que par l’effet de contraste avec des théories scientifiques (réfutables) alternatives.

Enfin, il n’y a pas de découverte sans imagination. L’imagination n’est pas l’ennemie de la science bien au contraire. Pour Karl Popper, un scientifique doit être libre d’émettre toute sorte d’hypothèse, dès lors que celles-ci sont techniquement réfutables.

Dans « La société ouverte et ses ennemis » il affirme avec force que la critique devrait être systématique et institutionnalisée.

Votre ouvrage souligne l'influence des philosophes post-modernes sur la société actuelle, quels en sont les conséquences ?

Selon moi, la postmodernité n’est pas une philosophie, dans ce sens où les philosophes que l’on a rangé dans la catégorie des penseurs postmodernes avaient en tête des buts politiques, des intentions, étaient obsédés par les jeux de pouvoir et incidemment produisirent des rationalisations visant à justifier une forme de relativisme en ringardisant l’esprit de la science.

Ils ont ainsi simplifié à outrance la pensée des philosophes des sciences de sorte que la science, censée représenter la pensée dite « occidentale » ne puisse se prévaloir d’une quelconque supériorité. Ce faisant, ils ont préparé le chemin à un relativisme généralisé selon lequel toutes les croyances auraient la même valeur, ce qui non seulement est erroné mais ne peut conduire qu’au développement de l’esprit de superstition.

Vous prônez une révolution intellectuelle qui valorise le libre arbitre ou encore la pensée indépendante. Comment visualisez-vous la mise en œuvre de cette révolution dans une société imprégnée de pensée post-moderne ?

Aujourd’hui, face à une question, une problématique, chacun aura tendance à puiser dans un répertoire préexistant logé dans sa mémoire. Ce répertoire est constitué de scripts de réponses, de scripts de prêt à penser, de scripts de raisonnement, qui le plus souvent n’ont pas été synthétisés par le sujet.

Plus une idée fera l’objet d’une saturation médiatique, plus elle aura été répétée, plus elle aura une position particulièrement saillante dans ce répertoire intériorisé. Même lorsque cette idée sera peu crédible, l’effet de vérité illusoire produit par la répétition viendra lui donner une vraie force.

Ainsi, ces idées « saillantes » seront mobilisées de manière quasi-inconsciente par l’effet d’associations automatiques opérées par le cerveau. On appelle cela l’heuristique de disponibilité.

Dans la vie quotidienne, cela est utile et fonctionne très bien. Mais lorsque l’on veut se forger une opinion sur un sujet de fond, il est vital d’avoir recours à la pensée analytique indépendante. Synthétiser ses propres réponses et pour cela questionner ce qui n’est pas déjà présent dans sa mémoire, est un prérequis pour qui veut penser au plus près du réel.

Enfin, il convient de bannir l’adéquation des faits à ses propres principes et d’avoir toujours à l’esprit que nous ne sommes pas la somme de nos croyances et que s’identifier à des croyances limite notre liberté cognitive notamment par l’effet de la dissonance cognitive.