Quel est la vocation d’Équilibre des énergies ?
Équilibre des énergies est un think tank regroupant des entreprises engagées dans la décarbonation de l’économie. Le point de vue et la mobilisation des entreprises sont très importants puisque ce sont elles qui sont appelées à faire d’essentiel du travail. Nous regroupons des entreprises évoluant dans le bâtiment, les transports et l’énergie, de manière à créer des synergies entre tous ces secteurs. Parce que, désormais, nous ne pouvons plus nous limiter à un seul point de vue sectoriel, nous sommes obligés de voir de quelle manière tous ces efforts peuvent s’agencer.
La décarbonation est une aventure industrielle avant tout. Cette décarbonation va nous conduire à consommer plus d’énergie, décarbonée bien entendu, au moins pendant un certain temps. C’est une erreur de penser que décarboner signifie réduire les consommations et les activités. Il ne faut pas considérer que le changement climatique a déjà gagné et qu’il n’y a plus rien à faire. Au contraire. Il va falloir faire des efforts importants pour mener à bien cette aventure industrielle, et il faut en être conscient.
Concrètement, quelles sont vos actions ?
Équilibre des énergies dispose d’une structure scientifique composée d’ingénieurs issus de ces entreprises mettant leur savoir en commun pour décarboner l’économie. Nous élaborons des stratégies nous prenons des positions et nous soumettons ensuite nos suggestions au monde politique, à l’administration, à l’Union européenne à Bruxelles. Nous sommes actifs, sur de nombreux sujets. Si je prends comme exemple la question des bornes de recharge pour les voitures électriques, nous expliquons aux députés l’importance de transformer la loi sur les copropriétés, afin de permettre aux occupants d’installer des bornes de recharge sur leur lieu d’habitation. Ce type de démarche est efficace.
Dans le cadre du Projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables actuellement en commission paritaire entre le Sénat et l’Assemblée nationale, nous portons des projets tels que le couplage de la couverture photovoltaïque des délaissés d’autoroute et des bords de voies de chemin de fer avec des bornes de recharge.
Justement, le déploiement des bornes de recharge avait fait l’objet de plan gouvernemental pour l’installation de 100000 bornes dans l’espace public à l’horizon 2022. Nous sommes encore loin du compte. Comment le photovoltaïque pourrait accélérer le mouvement et répondre à la demande de la mobilité électrique ?
Cette source d’énergie ne pourra pas répondre seule à la demande en électricité pour alimenter les bornes de recharge en France. Mais elle a un rôle important à jouer, surtout les jours d’été, car elle a l’avantage d’être prévisible. Pour le photovoltaïque, vous avez deux possibilités : soit vous avez du photovoltaïque localisé pour produire de l’énergie pour une maison, une ferme ou pour une aire de repos d’autoroute, soit l’énergie créée est redirigée vers le réseau électrique. Au sein de ce réseau, cette électricité d’origine solaire est partagée avec les électrons des éoliennes, des centrales nucléaires ou des turbines à gaz pendant les heures de pointe.
Dans le cadre de la production globale d’électricité, quelles seront la place des énergies renouvelables et celle du nucléaire ?
Nous avons perdu du temps sur le nucléaire parce qu’une partie de l’opinion, inquiète, y était défavorable. Maintenant, il semble qu'il y ait un retour vers le nucléaire, ce qui est très important. Il faut en profiter pour moderniser et améliorer ce secteur. Mais construire de nouveaux réacteurs prendra du temps, il ne va pas falloir traîner. Parallèlement, quand il y a du soleil ou du vent, autant en profiter. Le solaire et l’éolien sont mobilisables dans des délais plus courts. Il faut donc être pragmatique et diversifier notre mix énergétique.
À l’avenir, nous aurons du nucléaire, des éoliennes, du solaire et même de l’hydraulique. Nous avons déjà une quantité non négligeable d’électricité hydraulique, je pense d’ailleurs que nous pourrions faire encore plus dans ce domaine. Ces questions sont en discussion, des scénarios ont été écrits, un débat politique aura lieu bientôt au Parlement à travers la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) d’ici à l’été 2023. Ce débat sera intéressant même s’il y aura certainement des surenchères, des difficultés, des imprécations.
Quelle place les entreprises du secteur privé vont-t-elles jouer dans ces politiques de décarbonation ?
Elles en seront les piliers. Non seulement en tant qu’investisseurs, mais surtout en tant qu’opérateurs. Pour cela, elles ont besoin de savoir ce que l’État et le peuple français leur demandent dans les 30 prochaines années. C’est une préoccupation d’Équilibre des énergies : ces entreprises ont besoin d’un cadre réglementaire clair et stable dans les prochaines années. Nous travaillons dessus.
Tout le monde sait aujourd’hui qu’il faut passer à la décarbonation. Il y a aujourd’hui quatre formes d’énergie décarbonée à notre disposition : la chaleur renouvelable, par exemple solaire, géothermique, celle des pompes à chaleur, celle du bois ; l’électricité dont il va falloir doubler la consommation au détriment des combustibles fossiles ; l’hydrogène qu’il faudra produire proprement pour des usages industriels ; et les carburants durables pour l’aviation (les SAF). Donc, comment fait-on pour décarboner le secteur du bâtiment ou celui des transports, qui est le premier émetteur de gaz à effet de serre (GES) en France ? Au cours des dernières décennies, la France a laissé partir ses industries, elle a eu tort parce que la décarbonation, en réalité, sera une aventure industrielle. Cela va demander des investissements très lourds pour mettre en place des électrolyseurs, des usines de fabrication de batteries, la généralisation des voitures électriques, la multiplication des réseaux de chaleur, la diffusion des pompes à chaleur, la rénovation des bâtiments, les grands éoliennes offshore et les centrales nucléaires, les réseaux et la numérisation…
Parmi les partenaires d’Équilibre des énergies, la PFA (Plateforme automobile) réunit des constructeurs et des acteurs de la mobilité. À quelles difficultés sont-ils confrontés ?
Cela fait longtemps que nous assistons à la consolidation de ce secteur, avec Renault-Nissan et Stellantis ; nous avons même craint qu’il n’y ait bientôt plus qu’un seul constructeur en France. C’est un fait, ces constructeurs ne sont pas toujours d’accord avec les restrictions environnementales, mais nous travaillons néanmoins avec la PFA sur la décarbonation.
Nous sommes d’accord sur plusieurs points, comme l’erreur des ZFE (zones à faibles émission) dans les villes, obtenue par certains de nos amis écologistes – ou prétendument écologistes – qui ont voulu aller trop vite. Ces ZFE interdisent l’accès des villes aux automobilistes qui roulent encore avec des modèles diesel un peu anciens. C’est injuste socialement, car de nombreux Français ne peuvent pas acquérir de véhicules récents, trop onéreux. De plus, si nous devions remplacer toutes ces voitures obsolètes, il faudrait beaucoup d’acier d’un seul coup. A-t-on vraiment pensé à toutes les conséquences des grandes décisions politiques prises ces dernières années ?
Parmi ces grandes décisions, l’Union européenne a décidé de la fin de la commercialisation des voitures à moteur thermique en 2035. Y arrivera-t-on ?
Une partie des constructeurs automobiles considère que c’est trop rapide. C’est un sujet essentiel. En Allemagne par exemple, l’industrie automobile a beaucoup profité de la situation antérieure en exportant beaucoup de grosses et belles voitures, en Chine entre autres. Elle a finalement accepté de passer à l’électrique, mais certains disent que l’on pourrait garder quelques modèles en thermique. Ce positionnement a eu un écho auprès de Commissaires européens – comme Thierry Breton – qui considèrent que nous sommes allés trop vite avec cette date de 2035.
Pour ma part, je pense que lorsque nous décidons de quelque chose, il faut y aller à fond. La question n’est pas de ralentir le processus, mais d’organiser le succès de la transition vers l’électrique. Derrière cela, il y a évidemment la question des bornes de recharge, notamment le long des voies rapides, et celle du coût des véhicules pour les usagers. Il faut impérativement que la production de masse permette des effets d’échelle pour parvenir au même tarif que les véhicules thermiques. La difficulté de la transition énergétique, que ce soit dans l’automobile ou pour le chauffage des habitations, c’est que c’est plus cher et moins commode.
Dans la mobilité durable, mis à part les voitures, il y a aussi la question des infrastructures, en particulier pour les autoroutes. Quelles sont les stratégies possibles pour leur décarbonation ?
La Fédération Nationale des Travaux Publics – avec laquelle nous travaillons – a réalisé une étude sur l’empreinte carbone des travaux publics qui sont directement responsables de 4% des émissions nationales de gaz à effet de serre, essentiellement à cause du bitume, du béton et de l’énergie. Ces professionnels travaillent là-dessus et je pense qu’ils vont parvenir à décarboner leurs métiers assez rapidement. En revanche, ils savent aussi que c’est l’utilisation que font les Français de leurs infrastructures qui crée 50% des émissions. Ils sont donc dans une seconde réflexion : comment faire en sorte que les utilisateurs de ces infrastructures, les automobilistes et les poids lourds émettent moins ?
L’équipement des autoroutes en bornes de recharge est un exemple évident. Il faudra environ un million de bornes de recharges accessibles au public d’ici 2035, nous n’en sommes qu’à 80000. C’est bien sûr insuffisant, mais nous voyons aujourd’hui des investissements privés massifs dans le domaine. Ces acteurs privés appartiennent à quatre catégories : les sociétés concessionnaires d’autoroute comme Vinci ou autres, les propriétaires de stations comme Total, les constructeurs automobiles eux-mêmes, et enfin des pure players autonomes qui souhaitent investir. Installer une cinquantaine de bornes sur une aire d’autoroute coûte environ un million d’euros, il faut deux ans pour les raccorder. Ce sont de gros chantiers et qui ne peuvent s’amortir que dans la durée.
De plus, il va falloir améliorer beaucoup de choses. Par exemple, il faudrait que les bornes de recharge déployées soient à très haut débit et intelligentes : en arrivant à une station, la voiture serait ainsi reconnue et le système conseillerait à l’automobiliste de faire son plein deux heures plus tard, lors des heures creuses. Il va falloir standardiser cette activité, via des normes ISO, à l’échelle européenne, avec des systèmes de paiement homogènes. L’Union européenne a été capable de faire la même chose avec les chargeurs de téléphones portables, elle devra le faire pour l’électrification de la route. Cela va se faire, je ne suis pas inquiet.
Nous travaillons aussi dans Équilibre des Energies sur la route électrique, c’est-à-dire l’installation de systèmes de recharge en continu. C’est probablement l’avenir, au-delà de 2030 mais entre les caténaires pour les poids lourds, le rail central ou les systèmes à induction, il y a débat. L’enjeu est considérable, nous y travaillons avec nos membres, Vinci et Bouygues notamment.
En termes d’infrastructures, il existe déjà des expérimentations en France, comme les parcs d’échange multimodaux, pour favoriser le covoiturage. Comment généraliser ce type de solutions ?
Il y a en effet plusieurs projets comme ceux-ci, comme la modulation des péages aux heures de pointes ou la réservation d’une file aux transports collectifs sur les autoroutes. Il existe encore d’autres pistes : nous pourrions aussi faire payer un peu plus les camions pour l’usure des routes, mais on n’ose pas trop le faire. Les usagers, de leur côté, influencent les entreprises et les élus. Qui aurait parié sur les trottinettes ?
Concernant l’accès aux grandes villes, j’étais personnellement en faveur du péage urbain plutôt que pour la mise en place des ZFE parce que vous pouvez moduler les tarifs de ces péages. Les recettes servant alors à investir dans l’amélioration du système de circulation, alors que les ZFE ne rapportent rien, elles ne se résument qu’à de nouveaux interdits. Il y a mille manières d’influencer les comportements des usagers. En Norvège par exemple, il y a des parkings réservés pour les véhicules électriques. Même chose pour le covoiturage : le stationnement peut devenir gratuit, cela motivera les utilisateurs.
De qui doivent venir les initiatives dans le domaine des infrastructures ?
Est-ce aux pouvoirs publics d’être inventifs à chaque fois ? Je crois pour ma part que cela repose surtout sur les acteurs locaux. Dans les faits, beaucoup de choses se font déjà au niveau municipal par exemple. Dans les villes, la percée des vélos électriques est une aventure technologique extraordinaire, qui gagne un peu partout du terrain. Il faut donc massivement développer les infrastructures dédiées à ce mode de locomotion. À Copenhague, vous avez même des autoroutes pour vélos, en pleine ville !
Pendant trop longtemps en France, nous n’avons pas pris au sérieux le développement du vélo qui nécessite de vrais aménagements. Par exemple, quand vous arrivez à une station de train, il faut trouver des moyens pour que les vélos soient en sécurité, bien garés et que leurs propriétaires puissent les retrouver facilement. Les Japonais sont en pointe là-dessus, nous devons regarder ce qui se fait ailleurs. Il y a donc des feuilles de route à mettre en place pour chaque mode de transport et leurs interconnexions.
Penser la mobilité durable de demain nécessite donc de nombreuses innovations. Comment favoriser leur éclosion ?
Les forums se multiplient, les jeunes entrepreneurs sont encouragés, les innovations vont donc arriver très rapidement. Il faut maintenant que les politiques soient ouverts et qu’ils sachent dans quelle direction aller. L’autoroute par exemple est en train de se moderniser, nous avons même vu des chaussées captant l’énergie solaire pour la transformer en électricité. Encore faut-il en trouver l’usage car le problème de l’électricité, c’est de la produire quand on en a besoin… Mais on peut le faire ! On peut faire tellement de choses ! Une grande place est laissée à l’imagination, et donc à l’innovation. C’est assez effervescent !
Équilibre des énergies est un think tank regroupant des entreprises engagées dans la décarbonation de l’économie. Le point de vue et la mobilisation des entreprises sont très importants puisque ce sont elles qui sont appelées à faire d’essentiel du travail. Nous regroupons des entreprises évoluant dans le bâtiment, les transports et l’énergie, de manière à créer des synergies entre tous ces secteurs. Parce que, désormais, nous ne pouvons plus nous limiter à un seul point de vue sectoriel, nous sommes obligés de voir de quelle manière tous ces efforts peuvent s’agencer.
La décarbonation est une aventure industrielle avant tout. Cette décarbonation va nous conduire à consommer plus d’énergie, décarbonée bien entendu, au moins pendant un certain temps. C’est une erreur de penser que décarboner signifie réduire les consommations et les activités. Il ne faut pas considérer que le changement climatique a déjà gagné et qu’il n’y a plus rien à faire. Au contraire. Il va falloir faire des efforts importants pour mener à bien cette aventure industrielle, et il faut en être conscient.
Concrètement, quelles sont vos actions ?
Équilibre des énergies dispose d’une structure scientifique composée d’ingénieurs issus de ces entreprises mettant leur savoir en commun pour décarboner l’économie. Nous élaborons des stratégies nous prenons des positions et nous soumettons ensuite nos suggestions au monde politique, à l’administration, à l’Union européenne à Bruxelles. Nous sommes actifs, sur de nombreux sujets. Si je prends comme exemple la question des bornes de recharge pour les voitures électriques, nous expliquons aux députés l’importance de transformer la loi sur les copropriétés, afin de permettre aux occupants d’installer des bornes de recharge sur leur lieu d’habitation. Ce type de démarche est efficace.
Dans le cadre du Projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables actuellement en commission paritaire entre le Sénat et l’Assemblée nationale, nous portons des projets tels que le couplage de la couverture photovoltaïque des délaissés d’autoroute et des bords de voies de chemin de fer avec des bornes de recharge.
Justement, le déploiement des bornes de recharge avait fait l’objet de plan gouvernemental pour l’installation de 100000 bornes dans l’espace public à l’horizon 2022. Nous sommes encore loin du compte. Comment le photovoltaïque pourrait accélérer le mouvement et répondre à la demande de la mobilité électrique ?
Cette source d’énergie ne pourra pas répondre seule à la demande en électricité pour alimenter les bornes de recharge en France. Mais elle a un rôle important à jouer, surtout les jours d’été, car elle a l’avantage d’être prévisible. Pour le photovoltaïque, vous avez deux possibilités : soit vous avez du photovoltaïque localisé pour produire de l’énergie pour une maison, une ferme ou pour une aire de repos d’autoroute, soit l’énergie créée est redirigée vers le réseau électrique. Au sein de ce réseau, cette électricité d’origine solaire est partagée avec les électrons des éoliennes, des centrales nucléaires ou des turbines à gaz pendant les heures de pointe.
Dans le cadre de la production globale d’électricité, quelles seront la place des énergies renouvelables et celle du nucléaire ?
Nous avons perdu du temps sur le nucléaire parce qu’une partie de l’opinion, inquiète, y était défavorable. Maintenant, il semble qu'il y ait un retour vers le nucléaire, ce qui est très important. Il faut en profiter pour moderniser et améliorer ce secteur. Mais construire de nouveaux réacteurs prendra du temps, il ne va pas falloir traîner. Parallèlement, quand il y a du soleil ou du vent, autant en profiter. Le solaire et l’éolien sont mobilisables dans des délais plus courts. Il faut donc être pragmatique et diversifier notre mix énergétique.
À l’avenir, nous aurons du nucléaire, des éoliennes, du solaire et même de l’hydraulique. Nous avons déjà une quantité non négligeable d’électricité hydraulique, je pense d’ailleurs que nous pourrions faire encore plus dans ce domaine. Ces questions sont en discussion, des scénarios ont été écrits, un débat politique aura lieu bientôt au Parlement à travers la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) d’ici à l’été 2023. Ce débat sera intéressant même s’il y aura certainement des surenchères, des difficultés, des imprécations.
Quelle place les entreprises du secteur privé vont-t-elles jouer dans ces politiques de décarbonation ?
Elles en seront les piliers. Non seulement en tant qu’investisseurs, mais surtout en tant qu’opérateurs. Pour cela, elles ont besoin de savoir ce que l’État et le peuple français leur demandent dans les 30 prochaines années. C’est une préoccupation d’Équilibre des énergies : ces entreprises ont besoin d’un cadre réglementaire clair et stable dans les prochaines années. Nous travaillons dessus.
Tout le monde sait aujourd’hui qu’il faut passer à la décarbonation. Il y a aujourd’hui quatre formes d’énergie décarbonée à notre disposition : la chaleur renouvelable, par exemple solaire, géothermique, celle des pompes à chaleur, celle du bois ; l’électricité dont il va falloir doubler la consommation au détriment des combustibles fossiles ; l’hydrogène qu’il faudra produire proprement pour des usages industriels ; et les carburants durables pour l’aviation (les SAF). Donc, comment fait-on pour décarboner le secteur du bâtiment ou celui des transports, qui est le premier émetteur de gaz à effet de serre (GES) en France ? Au cours des dernières décennies, la France a laissé partir ses industries, elle a eu tort parce que la décarbonation, en réalité, sera une aventure industrielle. Cela va demander des investissements très lourds pour mettre en place des électrolyseurs, des usines de fabrication de batteries, la généralisation des voitures électriques, la multiplication des réseaux de chaleur, la diffusion des pompes à chaleur, la rénovation des bâtiments, les grands éoliennes offshore et les centrales nucléaires, les réseaux et la numérisation…
Parmi les partenaires d’Équilibre des énergies, la PFA (Plateforme automobile) réunit des constructeurs et des acteurs de la mobilité. À quelles difficultés sont-ils confrontés ?
Cela fait longtemps que nous assistons à la consolidation de ce secteur, avec Renault-Nissan et Stellantis ; nous avons même craint qu’il n’y ait bientôt plus qu’un seul constructeur en France. C’est un fait, ces constructeurs ne sont pas toujours d’accord avec les restrictions environnementales, mais nous travaillons néanmoins avec la PFA sur la décarbonation.
Nous sommes d’accord sur plusieurs points, comme l’erreur des ZFE (zones à faibles émission) dans les villes, obtenue par certains de nos amis écologistes – ou prétendument écologistes – qui ont voulu aller trop vite. Ces ZFE interdisent l’accès des villes aux automobilistes qui roulent encore avec des modèles diesel un peu anciens. C’est injuste socialement, car de nombreux Français ne peuvent pas acquérir de véhicules récents, trop onéreux. De plus, si nous devions remplacer toutes ces voitures obsolètes, il faudrait beaucoup d’acier d’un seul coup. A-t-on vraiment pensé à toutes les conséquences des grandes décisions politiques prises ces dernières années ?
Parmi ces grandes décisions, l’Union européenne a décidé de la fin de la commercialisation des voitures à moteur thermique en 2035. Y arrivera-t-on ?
Une partie des constructeurs automobiles considère que c’est trop rapide. C’est un sujet essentiel. En Allemagne par exemple, l’industrie automobile a beaucoup profité de la situation antérieure en exportant beaucoup de grosses et belles voitures, en Chine entre autres. Elle a finalement accepté de passer à l’électrique, mais certains disent que l’on pourrait garder quelques modèles en thermique. Ce positionnement a eu un écho auprès de Commissaires européens – comme Thierry Breton – qui considèrent que nous sommes allés trop vite avec cette date de 2035.
Pour ma part, je pense que lorsque nous décidons de quelque chose, il faut y aller à fond. La question n’est pas de ralentir le processus, mais d’organiser le succès de la transition vers l’électrique. Derrière cela, il y a évidemment la question des bornes de recharge, notamment le long des voies rapides, et celle du coût des véhicules pour les usagers. Il faut impérativement que la production de masse permette des effets d’échelle pour parvenir au même tarif que les véhicules thermiques. La difficulté de la transition énergétique, que ce soit dans l’automobile ou pour le chauffage des habitations, c’est que c’est plus cher et moins commode.
Dans la mobilité durable, mis à part les voitures, il y a aussi la question des infrastructures, en particulier pour les autoroutes. Quelles sont les stratégies possibles pour leur décarbonation ?
La Fédération Nationale des Travaux Publics – avec laquelle nous travaillons – a réalisé une étude sur l’empreinte carbone des travaux publics qui sont directement responsables de 4% des émissions nationales de gaz à effet de serre, essentiellement à cause du bitume, du béton et de l’énergie. Ces professionnels travaillent là-dessus et je pense qu’ils vont parvenir à décarboner leurs métiers assez rapidement. En revanche, ils savent aussi que c’est l’utilisation que font les Français de leurs infrastructures qui crée 50% des émissions. Ils sont donc dans une seconde réflexion : comment faire en sorte que les utilisateurs de ces infrastructures, les automobilistes et les poids lourds émettent moins ?
L’équipement des autoroutes en bornes de recharge est un exemple évident. Il faudra environ un million de bornes de recharges accessibles au public d’ici 2035, nous n’en sommes qu’à 80000. C’est bien sûr insuffisant, mais nous voyons aujourd’hui des investissements privés massifs dans le domaine. Ces acteurs privés appartiennent à quatre catégories : les sociétés concessionnaires d’autoroute comme Vinci ou autres, les propriétaires de stations comme Total, les constructeurs automobiles eux-mêmes, et enfin des pure players autonomes qui souhaitent investir. Installer une cinquantaine de bornes sur une aire d’autoroute coûte environ un million d’euros, il faut deux ans pour les raccorder. Ce sont de gros chantiers et qui ne peuvent s’amortir que dans la durée.
De plus, il va falloir améliorer beaucoup de choses. Par exemple, il faudrait que les bornes de recharge déployées soient à très haut débit et intelligentes : en arrivant à une station, la voiture serait ainsi reconnue et le système conseillerait à l’automobiliste de faire son plein deux heures plus tard, lors des heures creuses. Il va falloir standardiser cette activité, via des normes ISO, à l’échelle européenne, avec des systèmes de paiement homogènes. L’Union européenne a été capable de faire la même chose avec les chargeurs de téléphones portables, elle devra le faire pour l’électrification de la route. Cela va se faire, je ne suis pas inquiet.
Nous travaillons aussi dans Équilibre des Energies sur la route électrique, c’est-à-dire l’installation de systèmes de recharge en continu. C’est probablement l’avenir, au-delà de 2030 mais entre les caténaires pour les poids lourds, le rail central ou les systèmes à induction, il y a débat. L’enjeu est considérable, nous y travaillons avec nos membres, Vinci et Bouygues notamment.
En termes d’infrastructures, il existe déjà des expérimentations en France, comme les parcs d’échange multimodaux, pour favoriser le covoiturage. Comment généraliser ce type de solutions ?
Il y a en effet plusieurs projets comme ceux-ci, comme la modulation des péages aux heures de pointes ou la réservation d’une file aux transports collectifs sur les autoroutes. Il existe encore d’autres pistes : nous pourrions aussi faire payer un peu plus les camions pour l’usure des routes, mais on n’ose pas trop le faire. Les usagers, de leur côté, influencent les entreprises et les élus. Qui aurait parié sur les trottinettes ?
Concernant l’accès aux grandes villes, j’étais personnellement en faveur du péage urbain plutôt que pour la mise en place des ZFE parce que vous pouvez moduler les tarifs de ces péages. Les recettes servant alors à investir dans l’amélioration du système de circulation, alors que les ZFE ne rapportent rien, elles ne se résument qu’à de nouveaux interdits. Il y a mille manières d’influencer les comportements des usagers. En Norvège par exemple, il y a des parkings réservés pour les véhicules électriques. Même chose pour le covoiturage : le stationnement peut devenir gratuit, cela motivera les utilisateurs.
De qui doivent venir les initiatives dans le domaine des infrastructures ?
Est-ce aux pouvoirs publics d’être inventifs à chaque fois ? Je crois pour ma part que cela repose surtout sur les acteurs locaux. Dans les faits, beaucoup de choses se font déjà au niveau municipal par exemple. Dans les villes, la percée des vélos électriques est une aventure technologique extraordinaire, qui gagne un peu partout du terrain. Il faut donc massivement développer les infrastructures dédiées à ce mode de locomotion. À Copenhague, vous avez même des autoroutes pour vélos, en pleine ville !
Pendant trop longtemps en France, nous n’avons pas pris au sérieux le développement du vélo qui nécessite de vrais aménagements. Par exemple, quand vous arrivez à une station de train, il faut trouver des moyens pour que les vélos soient en sécurité, bien garés et que leurs propriétaires puissent les retrouver facilement. Les Japonais sont en pointe là-dessus, nous devons regarder ce qui se fait ailleurs. Il y a donc des feuilles de route à mettre en place pour chaque mode de transport et leurs interconnexions.
Penser la mobilité durable de demain nécessite donc de nombreuses innovations. Comment favoriser leur éclosion ?
Les forums se multiplient, les jeunes entrepreneurs sont encouragés, les innovations vont donc arriver très rapidement. Il faut maintenant que les politiques soient ouverts et qu’ils sachent dans quelle direction aller. L’autoroute par exemple est en train de se moderniser, nous avons même vu des chaussées captant l’énergie solaire pour la transformer en électricité. Encore faut-il en trouver l’usage car le problème de l’électricité, c’est de la produire quand on en a besoin… Mais on peut le faire ! On peut faire tellement de choses ! Une grande place est laissée à l’imagination, et donc à l’innovation. C’est assez effervescent !