Chine, avec le parti, moderniser la société

Le régime est nu. Dans une société désacralisée, sans référence, il ne reste que la culture pour redonner une transcendance à la Nation. Dès son arrivée au pouvoir, Xi Jinping, plus conscient que bien d’autres du vide socialiste (en rééducation politique, ennemi du peuple, il a passé près de sept ans dans un village perdu de campagne), a voulu redonner une existence à la nation chinoise, « une communauté de destins ». Le devenir de multiples ethnies réunies en une même patrie, communiquant grâce à une même langue, se retrouvant dans une même histoire qui remonte très loin et qui leur permet de partager un sentiment de supériorité vis-à-vis des « barbares » qui ont pu pendant un temps les humilier.

 

Après André Malraux, Xi Jinping s’inscrit dans une tradition confucéenne quand il affirme lors du 19^e Congrès national du Parti : La culture est l’âme d’un pays et d’une nation. Si la culture est florissante, le pays et la nation le seront aussi. Ce n’est qu’en restant fidèles à nos belles traditions, en assimilant tout ce qu’il y a d’utile provenant de l’étranger, et en nous orientant vers l’avenir que nous arriverons à bâtir l’esprit chinois, les valeurs chinoises, et la force chinoise qui fourniront un guide moral au peuple. Pour conclure : l’épanouissement de la culture est la condition préalable au grand rajeunissement de la nation chinoise ¹.
 

De fortes paroles que le Parti ne parvient pas à comprendre quand il va jusqu’à écrire que la culture est là pour adhérer à la position directrice du marxisme pour diriger la construction culturelle, renforcer la civilisation spirituelle socialiste et promouvoir l’édification d’un pouvoir culturel socialiste. Porter une culture de l’intégrité, qui prône le travail acharné, la diligence et l’épargne, l’éducation sur le thème du travail, qui crée le bonheur, qui va renforcer la construction de la famille ². Le Travail, la Famille, la Patrie socialiste !
 

Pour faire passer le message, presse, radio, télévision, édition et jusqu’aux nouveaux médias grand public s’uniront. On élaborera une stratégie de numérisation, les médias seront mis en réseau, intégrés et solides. Ainsi, la littérature et l’art, la philosophie et les sciences sociales pourront pleinement prospérer tout comme se renforcera la création et la production de thèmes réalistes, des œuvres littéraires et artistiques qui reflèteront la nouvelle atmosphère de l’époque et les nouvelles créations du peuple ³.
 

Ô cerveaux sans imagination d’idéologues noyés dans des certitudes flétries, comment pouvez-vous croire que votre peuple se contentera de productions réalisées sur commande dans une Chine désormais ouverte au monde ?
 

Cet aveuglement ne doit pas inquiéter. Ce qui a été mis en chantier, c’est un vecteur de liberté. Les créateurs chinois trouveront bien le moyen d’annihiler les censures, les talents s’imposeront, écrasant la bonne pensée socialiste.

Oublions ces rigidités d’appareils. Pour les présidents de la Chine, depuis Jiang Zemin, les progrès économiques, la croissance et ses fruits doivent être accompagnés par la construction harmonieuse et citoyenne du pays. Un impératif pour que la société conserve son équilibre. Prudemment, le gouvernement chinois s’aventure dans des terres mouvantes. Il ouvre des espaces de liberté : des possibilités d’expression ouvertes à tous, des ouvertures sur l’étranger pour l’élite, des facilités d’initiatives pour les entrepreneurs. De fait il va déclencher des mouvements telluriques.

Selon la constitution et les lois, la Chine est un pays de liberté. Une liberté totale, mais à une limite près qui permet toutes les censures : Lorsque les citoyens exercent leur droit à la liberté de publication, ils ne doivent pas s’opposer aux principes fondamentaux confirmés dans la Constitution et ne doivent pas nuire aux intérêts du pays, de la société et de la collectivité, ou aux libertés et droits des autres citoyens ⁴.
 

Le garde-fou est suffisamment solide pour que le régime favorise l’émergence d’une société civile disciplinée qui repose sur un tissu d’associations dont un pays moderne ne peut plus se passer. Elles se comptent par millions. Un quart d’entre elles sont enregistrées auprès du ministère des Affaires civiles mais le plus grand nombre est non déclaré. Des « associations sociales » proches des associations de type loi 1901. Par leur objet, leurs revendications, elles sont très voisines des organisations occidentales et constituent sur toute l’étendue du territoire des points de résistances, des empêcheurs d’administrer en rond.
 

Des bourgeons de liberté percent jusqu’au plan politique. Pour permettre au citoyen de s’exprimer, le régime veille à présent à ménager des canaux d’expression autorise les pétitions, les médiations. Au niveau local, dans les communes, il accepte des formes d’autogouvernement.

Ce qui vaut pour l’expression citoyenne, l’est aussi pour l’accès à la connaissance de ce que l’étranger peut penser de la Chine, c’est-à-dire à un Internet non filtré. L’accès en est donné à l’élite de la société telle que vue par le régime, à laquelle s’ajoutent ceux qui publient et ceux qui savent lire dans une langue étrangère. Ils sont autorisés à franchir le pare-feu national chinois pour accéder au Wall Street Journal, à la CNN, au Figaro et aux sites de la BBC.
 

Enfin, la liberté de voyager : en 2019 ce sont environ cinquante millions de Chinois qui se sont rendus à l’étranger. Jusqu’à l’épidémie de Covid, leur nombre progressait au rythme de 6 % par an.