L'histoire de l'huile d'Argan
L'arganier est un arbre unique en son genre, qui ne pousse qu'au Maroc, et donne des fruits qui contiennent une huile aux formidables vertus, la fameuse huile d'argan. La production d'huile d'argan fait partie intégrante de la culture berbère, et chaque année depuis des siècles, les fruits de l'arganier sont récoltés par les femmes, de manière traditionnelle. Ces dernières connaissent depuis tout ce temps, les vertus de l'huile d'argan, et savent comment travailler le fruit de l'arganier pour obtenir sa précieuse huile. Un savoir-faire qu'elles ont perpétué de génération en génération, jusqu'au jour où la mondialisation leur a imposé des méthodes industrielles. Alors, pour sauvegarder leur savoir-faire, tout en continuant à vivre de la récolte des fruits de l'arganier, elles se sont organisées en coopérative. Parallèlement, le roi Mohammed VI souhaitait faire connaitre l'huile d'Argan, pour pouvoir l’exporter, et dynamiser l'économie des régions rurales où pousse l'arganier, et ce, tout en soutenant les productrices d’huile d'argan. Ainsi la continuité des modèles de production sur le principe de la coopérative a perduré. Des organismes de soutien au développement durable et des ONG ont ainsi pris part au développement à une échelle industrielle, du commerce de l'huile d'argan. Mais l'huile d’argan, qui compte parmi les plus chères au monde, a rapidement attiré des investisseurs privés sans scrupules.
L’huile d’argan, un produit rare et convoité
N’étant produite qu’au Maroc, l’huile d’argan est une huile rare et donc chère. Depuis quelques années elle est exportée et ses formidables vertus lui ont valu d’être très convoitée. Son prix a été multiplié par six en dix ans. Vendue aujourd’hui 160 euros le litre, sur les marchés européens, alors qu’elle coûte trois fois moins cher à l’achat, l’huile d’argan suscite de grandes ambitions chez les investisseurs occidentaux, qui ont créé de nouvelles coopératives au Maroc, pour produire eux-mêmes la fameuse huile, et en tirer un maximum de profit. Cet engouement a donné lieu à l’apparition de nouveaux intermédiaires, à de nouveaux circuits d’approvisionnements qui ne servent que les grands comptes, à des réseaux d’huile contrefaite, et à des modes de production qui ont progressivement transformé un commerce traditionnel et éthique, en une industrie libérale. Cachés derrière le statut vertueux de leurs coopératives, exportateurs en gros, fabricants de produits cosmétiques et entreprises pharmaceutiques, exploitent les forêts d’arganiers et imposent leur loi, notamment au niveau des salaires. Ces dernières ne sont payées qu’entre 3 et 6 euros le litre, et le reste des profits va directement dans la poche des industriels. Pourtant, l’huile d’argan bénéficie toujours de son image de produit traditionnel et éthique, qui profite aux populations rurales du Maroc. Une image qui contribue au prix élevé de l’huile d’argan, et qui s’affiche fièrement sur tous les produits qui en contiennent. Des produits vendus au prix fort en Europe, premier marché consommateur de cette huile.
Le revers de la médaille
Fier du succès de l’huile d’argan auprès des consommateurs occidentaux, le Maroc doit aujourd’hui faire face à de nouveaux risques. Tout d’abord, la production d’huile d’argan pèse sur la pérennité des forêts d’arganiers, car l’essor économique des régions rurales où est produite l’huile d’argan a entrainé une hausse de la démographie. Cette dernière empiète désormais sur les espaces verts et les forêts. L’agriculture intensive s’est également développée, et les pesticides qu’elle utilise accélèrent la dégradation des sols. Les arganiers commencent déjà à en subir les effets. D’autre part, l’huile d’argan étant essentiellement utilisée dans la fabrication de produits cosmétiques, le savoir-faire ancestral des productrices d’huile d’argan se perd progressivement. Et pour cause, l’huile d’argan traditionnelle est extraite à partir de l’amandon du fruit, et par torréfaction. Or, pour des raisons d’hygiène et de critères qualitatifs imposés par les marchés européens, la majorité de l’huile produite par les coopératives marocaines est désormais issue d’un processus mécanique, qui extrait une huile à partir d’amandons crus. Ainsi, les femmes marocaines qui travaillent dans le secteur, n’accomplissent plus les gestes ancestraux et perdent le savoir-faire qu’elles ont acquis de façon traditionnelle. Un savoir qu’elles sont les seules à posséder. La valorisation commerciale de l’huile d’argan participe ainsi à la perte d’un savoir-faire ancestrale, et le Maroc a décidé de réagir en mettant en place une certification.
Une certification pour revenir à un modèle de développement durable
Entre les risques environnementaux, la perte progressive d’un savoir-faire ancestrale, et le manque à gagner pour les populations rurales, qui ne sont plus les premières bénéficiaires, le retour à un modèle de développement durable est aujourd’hui une nécessité pour le Maroc. Le pays s’est écarté de ses objectifs initiaux et envisage de se recentrer sur ces derniers, en instaurant une certification de l’argan. Cependant, cette certification est une simple indication géographique, qui témoigne de la provenance des fruits d’arganiers. Il s’avère qu’à l’origine, l’huile traditionnelle était produite à partir des forêts d’arganiers du sud-ouest du Maroc, près d’Agadir. Produire sur zone est donc un gage de qualité, mais sachant que pour obtenir la certification, les entreprises ont seulement besoin de se rapprocher d’Agadir, la qualité de l’huile reste aléatoire. En effet, rien ne les empêche d’extraire l’huile d’argan à partir d’amandons crus. Autrement dit, même certifiée, l’huile d’argan produite par les coopératives appartenant à des industriels du secteur cosmétique n’est pas une huile traditionnelle, et n’a donc pas les mêmes vertus. De plus, cette certification va rapidement devenir payante, et écartera ainsi les productrices rurales. Une mauvaise stratégie de la part du Maroc qui dit vouloir préserver un modèle plus durable. On peut donc se demander si la valorisation commerciale ne reste pas le premier objectif du pays. Par conséquent, les productrices traditionnelles commencent à se tourner vers le marché local, comme avant la mondialisation, car elles génèrent désormais plus de bénéfice en vendant de l’huile d’argan authentique aux Marocains.