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La démocratie des « égo »







31 Mai 2021

Jean-Marie Cotteret, professeur émérite à la Sorbonne Paris 1, est l’auteur d’un "Que sais-je" sur les systèmes électoraux et le marché électoral. Il a également fait paraitre "La selfie démocratie" chez VA Editions. Fin connaisseur du monde politique, il publie cette tribune sur la "démocratie des égos". Il s'interroge sur les enjeux liés à la représentativité du corps électoral. Décryptage…


On s'est trouvé et on se trouve encore devant un dilemme. Quelle est la place des élections, supports de la démocratie face à une situation sanitaire imprévisible ?
La question est simple : peut-on maintenir les élections quoiqu'il arrive afin de tenter de sauver la démocratie et suivre le président du Sénat qui affirme « on ne confine pas la démocratie » ou faut-il prendre en compte cet événement imprévisible qu'a été le virus ? La dénaturation du déroulement des élections par le virus est-il préférable à un report des élections? Quelles solutions préservent le mieux la démocratie? 
Prenons l'exemple des municipales du 12 mars et du 18 juin 2020 et des régionales et des départementales de 2021.
Le malaise actuel dans les mairies est dû au deuxième tour des élections municipales du 28 juin 2020 qui ont été un non-sens.

Le scrutin majoritaire à deux tours est le mode de scrutin préféré des Français. En effet, dans le système représentatif il est important de concilier deux notions : la représentation et la représentativité. La représentation permet au citoyen lors de l’élection de choisir son représentant. Mais ce représentant doit autant que possible incarner la variété des opinions. Le premier tour assure la représentation et le second tour facilite, si nécessaire, la représentativité. Les articles 54, 55, 56 du code électoral prévoient que le scrutin a lieu un dimanche et qu’il ne dure qu’un seul jour. Cependant, s’il y a nécessité, le deuxième tour a lieu le dimanche suivant le premier tour. La notion de temps est un élément essentiel du scrutin majoritaire à deux tours.
Or, mettre onze semaines entre les deux tours détruit l’essence même du scrutin. Surtout quand dans ce délai, le corps électoral subit une pandémie qui peut faire évoluer les valeurs initiales.
Il faut ajouter que le scrutin a eu lieu pratiquement sans campagne électorale : meetings réglementés ou interdits tout comme le porte à porte. De plus, les règlements pour le déroulement des opérations électorales dans les bureaux de vote en raison de la pandémie ont de quoi dissuader une partie du corps électoral, surtout chez les personnes les plus âgées. Qui peut avoir envie d’aller voter avec un masque, en se lavant les mains, en apportant son stylo et sans tirer les rideaux de l’isoloir ! Il serait intéressant de savoir quel est l’âge moyen des votants et celui des abstentionnistes. Où est la représentativité du corps électoral ?

Prenons un exemple, celui de Paris. Anne Hidalgo a été élue avec 224 782 voix sur un corps électoral de 1 332 282 personnes. Soit 13,3% du corps électoral. Quel maire peut administrer sa commune quand sept électeurs sur dix se sont abstenus. Il faut ajouter un autre phénomène : par rapport au deuxième tour des municipales de 2014 Anne Hidalgo a perdu 30% de ses voix !

La situation a été similaire à Marseille. Compte tenu de la situation sanitaire et sécuritaire la campagne électorale a été incohérente et ambiguë. Et finalement la maire de Marseille a été élue avec 13,1% des suffrages. Sur 506731 électeurs, la maire a été élue qu’avec 66 512 voix !
Les élections municipales telles qu’elles se sont déroulées le 28 juin remettent en cause la représentativité née de l’élection.
 

La situation est tragique car les personnalités élues n’ont aucune légitimité à exercer le pouvoir et rencontrent de grandes difficultés à l’exercer. C’est le cas notamment à Paris, et ajoutons qu'à Marseille, la maire élue a démissionné. 

Plus dramatique est la tragi-comédie des régionales.
L'accord traditionnel entre partis politiques s'est transformé en discussion pour savoir quelles sont les personnalités les plus apparentes à mettre sur une liste commune. L'alliance entre deux partis sur cette liste commune avec un programme commun s'est transformée en un échange de noms de personnalités à garder ou à rejeter sur une même liste. On assiste actuellement à droite à une pulvérisation des partis. Ils ne sont plus capables d'exercer leur fonction essentielle qui est avant tout d'unifier les différents courants de pensée dans l'opinion.
Les partis politiques privilégient l’égo au détriment de l’idée.
Les élections pivot de la démocratie représentative méritent un meilleur sort.
 
Jean-Marie Cotteret