L’esthétisme affirmé
Il passe de la poche à la main, on le voit mais on ne le regarde pas vraiment. Pourtant le billet de banque recèle des trésors artistiques que les « billetophiles » ont su saisir et apprécier. En effet, depuis son apparition dans l’Empire du milieu au XIe siècle, le billet de banque est un véritable espace d’expression du talent pour ses concepteurs. Nombreux sont les artistes peintres, graveurs qui y ont apporté leur concours et confirment alors la démarche artistique induite dans la fabrication de ces objets du quotidien. A l’instar des écoles stylistique qui ont marquées l’histoire (écoles hollandaise, italienne …), un mouvement artistique a également été fondé autour du billet de banque. L’école française du billet a par exemple fourni un travail riche grâce aux créations de Poughéon, Lefeuvre ou Lambert qui ont signé quelques-unes des plus belles pièces de notre histoire aujourd’hui exposées comme des œuvres d’art à part entière.
Un des billets les plus prisés des collectionneurs est le « 5.000 francs Flameng », dessiné par le peintre François Flameng, qui s'illustra par ailleurs en décorant les plafonds de l'Opéra-Comique à Paris. Le billet représentatif du style Art nouveau, a d’ailleurs subi les critiques des autorités monétaires qui ne le trouvaient pas assez « monétaire » et trop fantaisiste. Il a désormais une place de choix aux côtés de centaines de billets référencés par le « Pick », véritable Bible vouée à l’art du billet. Cette dimension artistique est quasi institutionnalisée au sein de l’International Bank Note Society (IBNS) qui la promeut depuis 1961 en organisant, notamment, un concours récompensant le « billet de l’année ». Ce rendez-vous est assez couru par les collectionneurs mais également par les Banques centrales à l’affût d’idées neuves.
Un ambassadeur de l’art national
En effet, si les billets sont érigés au rang de véritables pièces d’art, c’est qu’ils s’inscrivent dans le patrimoine national. Les concepteurs travaillent en étroite collaboration avec les Banques centrales afin de proposer un billet à l’esthétisme fort et symbolique d’une Nation comme le souligne le designer Travis Purrington, qui les « considère comme le socle qui rend notre civilisation possible ». L’artiste s’interroge alors sur le rôle du billet de banque en tant qu’instrument pédagogique au service du lien patriotique. Dans sa thèse, soutenue à la Basel School of Design, il réinterprète ainsi les légendaires dollars américains. Thomas Savare, à la tête d’Oberthur Fiduciaire, un des leaders de l’impression de haute sécurité, est bien conscient de cette dimension qui mêle symbolique et esthétisme. « Grâce à l’expertise que nous avons développée au fil du temps auprès de banques centrales du monde entier, nous percevons combien la symbolique véhiculée par un billet de banque est importante aux yeux de nos clients. Un billet de banque est un élément constitutif de l’identité d’une nation » précise-t-il. Et le patron d’Oberthur Fiduciaire, de rejoindre Purrington dans son analyse: « [Le billet] doit refléter une histoire, une culture, un socle de valeurs communes, et des symboles de fierté nationale tels que d’illustres personnages ou des monuments qui font sens dans l’esprit des citoyens. D’une certaine manière, c’est aussi un instrument de cohésion d’une nation. »
Il s’agit donc pour l’entreprise de créer l’identité numéraire d’un pays et de proposer un design à la ligne graphique singulière. De plus en plus de Banques nationales, comme en Norvège ou au Canada, ont organisé des concours de design pour les futurs billets et sollicitent l’avis des citoyens afin de proposer un billet le plus artistiquement représentatif du pays et de son époque. Les Canadiens se sont par exemple émus de l’absence de personnalités féminines sur leurs futurs billets. Les défis sont donc de plus en plus nombreux pour les fabricants de billets qui doivent intégrer des paramètres artistiques toujours plus complexes. L’esthétique s’accompagne également d’un souci particulier quant à la qualité du papier ou des méthodes de protection. Aujourd’hui les impératifs en matière de lutte anti-contrefaçon et de sécurité font des billets de banque de véritables bijoux technologiques.
Un artisanat high tech
En effet depuis les débuts du billet, la démarche esthétique a été accompagnée de la volonté permanente de renforcer la confiance des citoyens dans leur monnaie et de décourager la contrefaçon. Ainsi, historiquement, complexifier le dessin ou utiliser des techniques artistiques innovantes ont été autant de gages de sécurité face à la contrefaçon. Cette créativité a été largement nourrie des progrès techniques en matière d’impression, bien ces derniers ont à leur tour… grandement facilité le travail des faussaires. Mais l’apparition de la polychromie ou la gravure en taille douce ont marqué un tournant dans l’art du billet de banque, en multipliant ainsi les possibilités artistiques. En France, l’impression de billets noirs a été abandonnée en 1862 car la photographie permettait une large falsification comme l’explique Patrick Ladoue, Caissier conservateur des collections numismatiques de la Caisse générale de la banque de France : « À partir de 1862, explique-t-il, les billets de la Banque de France sont imprimés avec une encre bleue provenant de la manufacture royale de Schneeberg en Saxe, le bleu étant la couleur la moins photogénique qu’on ait pu isoler ».
Aujourd’hui encore, les fabricants de billets de banque ont pour priorité stratégique de concilier qualité esthétique, matérielle et procédés anti-contrefaçon. « Nous déposons régulièrement de nouveaux brevets couvrant les technologies que nous mettons en œuvre, en particulier dans deux champs de R&D : la sécurité (avec les technologies anti-scanner ou les patchs à effets optiques par exemple), et la durabilité du billet de banque » rappelle le patron d’Oberthur Fiduciaire dont l’entreprise, à force de dépenses considérables en R&D, s’est hissée dans le top 3 mondial des imprimeurs de haute sécurité.
En l’espèce, c’est dans un souci de sécurité que le graphisme du nouveau billet de 10 euros a été repensé comme le souligne la Banque Centrale européenne (BCE). En effet, si le visage de la déesse Europe (inspiré d’un vase exposé au Louvre et datant de l’Antiquité) a fait son apparition, les concepteurs l’ont utilisé afin d’intégrer un hologramme et un filigrane de nouvelle génération. Les billets sont ainsi renouvelés dans une perspective artistique et sécuritaire.
Après plus d’un millénaire de loyaux services, le billet de banque continue donc sa mue artistique. Ultime consécration, il intègre le marché de l’art contemporain grâce à des artistes tels que Mark Wagner, Farid Kamboh ou Bernadette Delrieu qui l’utilisent dans leurs œuvres sous la formes de toiles ou d’origamis. Une manière de rappeler à la manière d’un Gainsbourg brûlant un billet de 500 francs pour représenter le poids du fisc, que le billet de banque reste un témoin artistique mais également politique et social de notre époque.
Il passe de la poche à la main, on le voit mais on ne le regarde pas vraiment. Pourtant le billet de banque recèle des trésors artistiques que les « billetophiles » ont su saisir et apprécier. En effet, depuis son apparition dans l’Empire du milieu au XIe siècle, le billet de banque est un véritable espace d’expression du talent pour ses concepteurs. Nombreux sont les artistes peintres, graveurs qui y ont apporté leur concours et confirment alors la démarche artistique induite dans la fabrication de ces objets du quotidien. A l’instar des écoles stylistique qui ont marquées l’histoire (écoles hollandaise, italienne …), un mouvement artistique a également été fondé autour du billet de banque. L’école française du billet a par exemple fourni un travail riche grâce aux créations de Poughéon, Lefeuvre ou Lambert qui ont signé quelques-unes des plus belles pièces de notre histoire aujourd’hui exposées comme des œuvres d’art à part entière.
Un des billets les plus prisés des collectionneurs est le « 5.000 francs Flameng », dessiné par le peintre François Flameng, qui s'illustra par ailleurs en décorant les plafonds de l'Opéra-Comique à Paris. Le billet représentatif du style Art nouveau, a d’ailleurs subi les critiques des autorités monétaires qui ne le trouvaient pas assez « monétaire » et trop fantaisiste. Il a désormais une place de choix aux côtés de centaines de billets référencés par le « Pick », véritable Bible vouée à l’art du billet. Cette dimension artistique est quasi institutionnalisée au sein de l’International Bank Note Society (IBNS) qui la promeut depuis 1961 en organisant, notamment, un concours récompensant le « billet de l’année ». Ce rendez-vous est assez couru par les collectionneurs mais également par les Banques centrales à l’affût d’idées neuves.
Un ambassadeur de l’art national
En effet, si les billets sont érigés au rang de véritables pièces d’art, c’est qu’ils s’inscrivent dans le patrimoine national. Les concepteurs travaillent en étroite collaboration avec les Banques centrales afin de proposer un billet à l’esthétisme fort et symbolique d’une Nation comme le souligne le designer Travis Purrington, qui les « considère comme le socle qui rend notre civilisation possible ». L’artiste s’interroge alors sur le rôle du billet de banque en tant qu’instrument pédagogique au service du lien patriotique. Dans sa thèse, soutenue à la Basel School of Design, il réinterprète ainsi les légendaires dollars américains. Thomas Savare, à la tête d’Oberthur Fiduciaire, un des leaders de l’impression de haute sécurité, est bien conscient de cette dimension qui mêle symbolique et esthétisme. « Grâce à l’expertise que nous avons développée au fil du temps auprès de banques centrales du monde entier, nous percevons combien la symbolique véhiculée par un billet de banque est importante aux yeux de nos clients. Un billet de banque est un élément constitutif de l’identité d’une nation » précise-t-il. Et le patron d’Oberthur Fiduciaire, de rejoindre Purrington dans son analyse: « [Le billet] doit refléter une histoire, une culture, un socle de valeurs communes, et des symboles de fierté nationale tels que d’illustres personnages ou des monuments qui font sens dans l’esprit des citoyens. D’une certaine manière, c’est aussi un instrument de cohésion d’une nation. »
Il s’agit donc pour l’entreprise de créer l’identité numéraire d’un pays et de proposer un design à la ligne graphique singulière. De plus en plus de Banques nationales, comme en Norvège ou au Canada, ont organisé des concours de design pour les futurs billets et sollicitent l’avis des citoyens afin de proposer un billet le plus artistiquement représentatif du pays et de son époque. Les Canadiens se sont par exemple émus de l’absence de personnalités féminines sur leurs futurs billets. Les défis sont donc de plus en plus nombreux pour les fabricants de billets qui doivent intégrer des paramètres artistiques toujours plus complexes. L’esthétique s’accompagne également d’un souci particulier quant à la qualité du papier ou des méthodes de protection. Aujourd’hui les impératifs en matière de lutte anti-contrefaçon et de sécurité font des billets de banque de véritables bijoux technologiques.
Un artisanat high tech
En effet depuis les débuts du billet, la démarche esthétique a été accompagnée de la volonté permanente de renforcer la confiance des citoyens dans leur monnaie et de décourager la contrefaçon. Ainsi, historiquement, complexifier le dessin ou utiliser des techniques artistiques innovantes ont été autant de gages de sécurité face à la contrefaçon. Cette créativité a été largement nourrie des progrès techniques en matière d’impression, bien ces derniers ont à leur tour… grandement facilité le travail des faussaires. Mais l’apparition de la polychromie ou la gravure en taille douce ont marqué un tournant dans l’art du billet de banque, en multipliant ainsi les possibilités artistiques. En France, l’impression de billets noirs a été abandonnée en 1862 car la photographie permettait une large falsification comme l’explique Patrick Ladoue, Caissier conservateur des collections numismatiques de la Caisse générale de la banque de France : « À partir de 1862, explique-t-il, les billets de la Banque de France sont imprimés avec une encre bleue provenant de la manufacture royale de Schneeberg en Saxe, le bleu étant la couleur la moins photogénique qu’on ait pu isoler ».
Aujourd’hui encore, les fabricants de billets de banque ont pour priorité stratégique de concilier qualité esthétique, matérielle et procédés anti-contrefaçon. « Nous déposons régulièrement de nouveaux brevets couvrant les technologies que nous mettons en œuvre, en particulier dans deux champs de R&D : la sécurité (avec les technologies anti-scanner ou les patchs à effets optiques par exemple), et la durabilité du billet de banque » rappelle le patron d’Oberthur Fiduciaire dont l’entreprise, à force de dépenses considérables en R&D, s’est hissée dans le top 3 mondial des imprimeurs de haute sécurité.
En l’espèce, c’est dans un souci de sécurité que le graphisme du nouveau billet de 10 euros a été repensé comme le souligne la Banque Centrale européenne (BCE). En effet, si le visage de la déesse Europe (inspiré d’un vase exposé au Louvre et datant de l’Antiquité) a fait son apparition, les concepteurs l’ont utilisé afin d’intégrer un hologramme et un filigrane de nouvelle génération. Les billets sont ainsi renouvelés dans une perspective artistique et sécuritaire.
Après plus d’un millénaire de loyaux services, le billet de banque continue donc sa mue artistique. Ultime consécration, il intègre le marché de l’art contemporain grâce à des artistes tels que Mark Wagner, Farid Kamboh ou Bernadette Delrieu qui l’utilisent dans leurs œuvres sous la formes de toiles ou d’origamis. Une manière de rappeler à la manière d’un Gainsbourg brûlant un billet de 500 francs pour représenter le poids du fisc, que le billet de banque reste un témoin artistique mais également politique et social de notre époque.